Depuis mercredi dernier (27 janvier), est sortie VON BRAUN, formidable BD du dessinateur Robin Walter. Dix années après KZ Dora, Robin continue à explorer la face cachée de Wernher von Braun, l'homme qui a permis aux américains d'atteindre la Lune.
Pour les lecteurs de Space Quotes - Souvenirs d'espace, Robin Walter n'est pas un inconnu puisqu'il avait été un de mes invités pour parler de KZ Dora, BD qui a fait découvrir à beaucoup d'entre nous les terribles conditions des déportés du camp de concentration de Dora où furent assemblés les V2 et où travaillèrent von Braun et ses amis ingénieurs.
Relire l'interview en cliquant ICI.
Je vous propose une nouvelle rencontre avec Robin. Il vous parlera bien mieux de cette formidable BD, et oui... oui... formidable n'est pas trop fort (et je ne dis pas ça parce que je suis dans les remerciements 😂😂😂).
Pour en savoir plus sur le travail de Robin, allez sur son site en cliquant sur www.robinwalter.fr.
Laurent Thierry, docteur en histoire et historien à La Coupole a écrit la préface.
Editions Des ronds dans l'O.
182 pages.
ISBN : 978-2-37418-101-1
Merci encore à Robin Walter pour sa disponibilité, sa gentillesse et surtout pour cette grande leçon d'histoire sur un des hommes qui a changé le visage du 20ème siècle.
RENCONTRE AVEC ROBIN WALTER
1) Pourquoi as-tu voulu faire ‘’une suite’’ à KZ Dora ?
Après KZ Dora, j’avais besoin de passer à autre
chose.
J’ai alors réalisé Prolongations, un diptyque sur l’univers du
foot professionnel en France, à travers le regard de plusieurs personnages
(supporter, joueur, arbitre, femme de star, journaliste…), le même genre de
structure narrative que KZ Dora, finalement. Puis, je suis retourné à
quelque chose de plus engagé et historique avec Maria et Salazar, sur
l’immigration portugaise des années 60 et sur la dictature de Salazar.
Depuis la sortie de KZ Dora, je suis intervenu à de nombreuses reprises dans
des collèges, lycées ou autres lieux culturels et j’interviens toujours
régulièrement, pour échanger autour de ma BD et de la déportation des
Résistants, ce qui m’a permis de rester connecté à ce sujet de Dora.
Durant ces années, j’ai souvent regardé ce qui était
réalisé dans la production culturelle sur Wernher von Braun, LE grand
personnage historique de toute cette histoire, et je constatais qu’il n’y avait
pas grand-chose. Le personnage est apparu dans quelques séries TV ou bandes
dessinées, la plupart du temps dans des uchronies, comme dernièrement dans la
série For All Mankind. Mais aucune œuvre ne semblait à mes yeux vraiment
saisir la complexité de Von Braun et aucune n’en avait vraisemblablement
l’ambition.
Dans le même temps, après de nombreuses discussions autour de l’ingénieur allemand, avec des lecteurs de KZ Dora ou autre, j’ai pu rapidement faire le constat suivant : Von Braun est un personnage très clivant, que chacun semble avoir besoin de ranger dans l’une des deux cases suivantes : « Pionnier génial de l’aérospatiale » ou « ordure de nazi ». Mais quasiment personne ne semble réussir à concevoir le fait qu’il ait été les deux à la fois. J’ai trouvé là qu’il y avait un beau challenge. C’est de cette idée qu’est réellement née ma BD. Pour m’encourager, j’ai essayé de me convaincre qu’avoir réalisé KZ Dora, qui a été plutôt bien reçu par la critique et les lecteurs, me donnerait une certaine légitimité.
2) Combien de temps t’a-t-il fallu pour réaliser cet
ouvrage ? Comment as-tu travaillé ?
Pour chacun de mes ouvrages, je passe beaucoup de temps à
me documenter.
J’avais déjà quelques références sur von Braun à travers ma
documentation sur KZ Dora, à commencer par le livre d’André Sellier, Histoire
du camp de Dora. Lors des festivals et autres salons du livre à l’époque de
la sortie de KZ Dora (qui est paru initialement en 2 volumes en 2010 et
2012 avant de n’exister plus que sous son format d’intégrale, parue en 2015),
j’ai rencontré un certain… Stéphane Sébile qui m’a listé plusieurs ouvrages
lorsque je lui ai demandé conseil au niveau bibliographie. Une partie d’elle
est retranscrite enfin d’ouvrage.
Je savais que j’allais déstructurer mon récit, au niveau chronologique. Car durant
toute sa carrière américaine, von Braun a essayé de présenter une version
édulcorée de son passé allemand. Au niveau du rythme narratif, cela me
paraissait moins passionnant de raconter son histoire de manière linéaire. J’ai
donc senti le besoin de réaliser une longue frise chronologique, à plusieurs
entrées (sa carrière, sa vie intime, l’histoire des fusées, etc…) afin de ne
pas me perdre narrativement. Ce travail m’a pris plus de temps que je pensais,
mais je ne l’ai pas regretté lorsqu’il a fallu passer à l’étape suivante, le
scénario.
Puis, j’ai réalisé les étapes plus classiques de la bande
dessinée, à savoir le story-board (le brouillon de la BD), puis la réalisation
de chaque planche. Il y en a 165.
Au final, j’ai mis près de 3 ans, tout en travaillant parallèlement à des récits courts que je publie chaque mois sur le site ernestmag.fr. J’y ai d’ailleurs feuilletonné la Genèse de KZ Dora, dans laquelle je raconte comment s’est faite la transmission de la mémoire par mon grand-père et les voyages et rencontres que j’ai effectués à Dora, à Peenemünde… J’y publie désormais une chronique sur la société et l’histoire par le prisme du sport, Transversale. Dans ma prochaine publication, je raconterai l’histoire de la première star du foot français, Eugène Maës, qui a été déporté… à Dora.
3) Tu as déjà fait prendre conscience, avec KZ Dora, que
von Braun avait une énorme part d’ombre. Comment ‘’vis-tu’’ le fait de le
descendre du piédestal où certains l’ont érigé pour le remettre à sa juste
place dans l’Histoire ? Avec son génie, mais surtout avec sa part d’horreur ?
Il faut bien comprendre une chose, j’ai découvert von
Braun par Dora. J’ai découvert l’importance de sa carrière aux Etats-Unis,
après avoir découvert l’horreur de l’univers concentrationnaire. A la fin des
années 90, quand j’ai découvert cette histoire par mon grand-père qui s’était
enfin décidé à nous transmettre ses carnets, Dora n’apparaissait pas sur les
cartes censées répertorier les principaux camps nazis !
Mes professeurs
d’histoire ne connaissaient pas Dora quand je les interrogeais. L’importance de
Dora, l’ampleur du dernier des grands camps nazis, a été cachée durant des
décennies. Même en France alors que les déportés français ont été
particulièrement concernés par Dora. 9000 y sont passés sur les 60.000 détenus.
La moitié des Français sont morts alors que la proportion était plutôt d’un
tiers de victimes chez les autres.
Finalement, mon parcours d’initiation vis-à-vis de von Braun, a été celui des
rescapés, qui ont découvert la réussite de leur ancien bourreau. Ce qui devait
être particulièrement insupportable, c’est qu’il était porté aux nues. Il était
très médiatique ! On le voyait partout ! J’entends encore Georges
Jouanin, déporté à Dora, qui travaillait sur la chaine de montage des V2, et
qui, lors d’un voyage en Allemagne, nous racontait avoir été giflé par von
Braun, après avoir posé son pied sur un élément sensible de guidage du missile.
Il l’accusait de sabotage.
Imaginez un contexte plus général : Votre bourreau devient une célébrité adorée par tous et nie en bloc le mal qu’il vous a fait…
Imaginez un contexte plus général : Votre bourreau devient une célébrité adorée par tous et nie en bloc le mal qu’il vous a fait…
Parce que le cœur du problème est là avec von Braun. Il s’est soustrait à un travail de deuil et à toute démonstration de honte.
Alors, je suis bien conscient que par ma BD, je participe
à le descendre du piédestal où certains l’on érigé, mais ce n’est pas tant pour
abîmer son image, par sentiment de vengeance, mais davantage pour continuer
cette œuvre de mémoire entamée avec KZ Dora, et pour avancer, pour
construire notre société, pour responsabiliser les scientifiques d’aujourd’hui
et de demain.
Von Braun doit devenir une sorte de contre-exemple. Que ceux qui
continuent de l’idolâtrer sans réserve aujourd’hui se posent les bonnes
questions ! J’ai écrit une postface à la fin de ma BD, que je termine
comme ceci : « Le débat public sur la question de la faisabilité
technique et le devoir d’y renoncer le cas échéant, ne doit en aucun cas
s’interrompre ».
4) Au final, comment définirais-tu von Braun ? Mais
aussi, les Etats-Unis qui l’ont accepté ?
Si je devais le résumer, je dirais que c’était un
opportuniste, un passionné qui savait séduire son monde et qui ne rêvait que
d’une chose, atteindre la Lune puis Mars. Et pour cela, il était prêt à tout,
même à pactiser avec le diable.
Il a vite compris que seule la guerre pourrait
financer ses recherches. Que ce soit durant la Seconde Guerre Mondiale ou après
aux Etats-Unis, il a su utiliser ce levier.
C’est vrai qu’il est important de signaler le comportement des dirigeants américains mais j’ai voulu montrer dans ma BD que tout n’avait pas été si simple pour von Braun et ses camarades allemand, sur le sol américain. Ils ont été mis au placard pendant quelques années. Les Etats-Unis ont fait appel à eux quand ils n’avaient plus d’autre choix, quand la pression soviétique s’est faite trop importante. Ils ont perdu de précieuses années. Cela leur a certainement coûté toutes les premières historiques, le premier satellite, le premier homme dans l’espace…
Les Américains ont utilisé les connaissances des nazis dans de nombreux
domaines, notamment dans celui des services secrets, afin de mieux lutter
contre les Russes. Mais si on veut les blâmer, on se doit aussi de balayer
devant notre porte. Karl-Heinz Bringer, le père du moteur Viking, le moteur de
notre fusée Ariane disait dans un enregistrement que possède le musée de
La Coupole, à St-Omer : « Les conditions étaient telles à Dora que
les déportés auraient pu vivre centenaires… »
Une rue porte son nom à Saint-Marcel, où il a vécu, près de Vernon dans l’Eure, où d’autres spécialistes allemands ont travaillé et lancé le programme français.
Une rue porte son nom à Saint-Marcel, où il a vécu, près de Vernon dans l’Eure, où d’autres spécialistes allemands ont travaillé et lancé le programme français.
Mais bon, si l'histoire des ingénieurs de Vernon mériterait une mise en lumière, elle n’est en rien comparable au parcours de von Braun, tant dans son implication au programme V2 et à l'univers concentrationnaire que dans la réussite de sa carrière US et sa célébrité qui en a découlé.
Crédit : Collection Stéphane Sebile / Spacemen1969
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