mercredi 19 janvier 2022

Rencontre avec Thomas Pesquet - 19 janvier 2022

 

Le mercredi 19 janvier’ dernier, l’AJPAE (Association des Journalistes Professionnels de l’Aéronautique et de l’Espace) organisait une rencontre entre Thomas Pesquet et la presse spécialisée (écrite, radio, TV).
Et même si c’était de bonne heure à Paris, je me suis organisé pour venir de province en fauteuil roulant (pas facile, très compliqué par moment, mais ça été fait quand même).


Cette rencontre privilégiée s’est déroulée avec une vingtaine de personnes, en respectant les conditions sanitaires en vigueur. Nous étions tous masqués et Thomas aussi (pas évident de parler longuement et distinctement avec un masque).
Il y a eu deux parties à cette rencontre : la première entièrement faite par Thomas qui nous a raconté chronologiquement sa mission Alpha (23 avril au 9 novembre 2021), avec un support visuel photos, et une seconde partie en mode questions/réponses.

J’ai essayé de retranscrire du mieux que j’ai pu (j’ai enregistré la rencontre) ce moment absolument passionnant et qui je l’espère vous plaira aussi. J’ai volontairement essayé de laisser le rythme et le phrasé de cette discussion pour rester le plus vivant possible.

Cet entretien est aussi ''découpé'' en 10 partie sur le site Portail ISS News de la Société Astronomique de France, et publié chaque semaine : Thomas Pesquet raconte Alpha

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C’est la première fois (cette semaine) que je reviens à Paris après mon retour sur Terre en fait, le 9 novembre si je me rappelle bien. Cela fait déjà 3 mois, j’ai l’impression que c’était hier.
Il s’est passé plein de choses, mais comme je disais, c’est on premier passage ici, c’est bien qu’on puisse se parler rapidement. On va revenir sur la mission.
On n’a pas, malgré que c’était il y a quelques semaines, eu de vrai débriefing de la mission avec des statistiques, des choses comme ça, ce n’est pas encore prêt.
On va juste parler chronologiquement de ce qu’il s’est passé, peut-être des différences avec la première mission.

L’entraînement a commencé pour moi en avril-mai 2020.
Départ à la NASA. La grosse différence a été l’épidémie de Covid qu’on a dû gérer un peu comme tout le monde.

Alors comment ça se passe un entrainement spatial en temps de Covid ?
On s’est adapté. Ce qui est assez incroyable, c’est qu’on n’a pas pris de retard du tout, aucune mission d’ailleurs. On a réussit à s’adapter à ça.

Evidemment, gestes barrières, masque, on a restreint tous les entraînements. C’était moins fun qu’avant car on était assez souvent, quasi en permanence dans une espèce de bulle.

Il y a des entrainements qui étaient difficiles à masquer, comme par exemple les entrainements piscine en scaphandre, pour les gens qui vous mettent dans le scaphandre, qui sont sensés être en contact avec vous de manière assez proche.. alors on a été innovants, on a trouvé des manières différentes de faire les choses, mais au final, tout s’est bien passé, pas de cas covid chez les astronautes, alors qu’à l’époque, les chiffres, notamment au Texas, étaient assez inquiétants.

La deuxième grosse différence évidemment, c’est le moyen de transport, c’est le Dragon de SpaceX comparé au Soyouz.
Le reste était plus facile, mais on ne peut pas dire c’était du connu car l’ISS a un peu changé, il y a de nouveaux modules, nouvelles expériences, de nouveaux équipement, une nouvelle manière de faire les choses. Évidemment il a fallu se remettre ça un peu en mémoire, mais au final, on était en terrain connu, mais par contre, Dragon de SpaceX était tout nouveau même si c’était un entrainement assez similaire à ce que j’ai connu dans ma vie de pilote, ou dans ma vie d’astronaute.

Une partie académique, théorique, comment ça marche, et ensuite une partie de plus en plus pratique, le simulateur, le scaphandre, jusqu’à à être capable de faire face en équipage à toutes les situations qui peuvent arriver, comme une dépressurisation, feu à l’intérieur de la cabine ou produit toxique qui se répandrait, ou les retours d’urgence sur Terre, comme éjection pendant le lancement, ou retour anticipé de la mission.

On a tout ce qu’il faut pour se poser sur l’eau : canot de sauvetage, rations de survie, etc…. On s’est entraîné en piscine, ça nous a pris un petit peu de temps, mais au final, un entrainement plus rapide, plus court, que la première fois.
Cela est dû essentiellement au fait qu’on ne repart pas de zéro. On a des acquis, et on part de là.

Mon équipage : je vous présente Shane Kimbrough avec qui j’ai eu la chance de voler pendant ma première mission, c’est assez sympa de revenir dans l’espace tous les deux.
On se connaît très bien, on a passé 4 mois 1/2 dans l’espace ensemble en 2017. Shane, c’est sa 3ème mission.
Megan McArthur, c’était sa 2ème mission. Elle a fait une mission de navette, STS-125, la dernière mission vers Hubble, et c’était en 2009.
Aki, c’était sa 3ème mission : déjà une mission navette et une mission Soyouz/Expedition pour 6 mois dans la station spatiale internationale.

À nous quatre, je n’ai pas fait le calcul, mais on devait être un des équipages les plus expérimentés jamais assemblé, et même si on ne l’était pas au lancement, on devait y être au retour, en terme de jours dans l’espace, de nombre de véhicules.

Il n’a que trois personnes (actuellement en activité=ndlr) qui ont volé sur trois véhicules : Soichi Noguchi, Aki et Shane.
On avait la chance d’en avoir deux dans l’équipage, beaucoup beaucoup d’expérience, que ce soit en sortie extra-véhiculaire, robotique, ou tout le reste. Et puis des gens supers, on s’est super bien entendu.

Je connaissais très bien Shane, très bien Aki, on avait fait une mission NEEMO sous l’eau ensemble au large des côtes de Floride. Je connaissais moins Megan, je l’avais croisé pas mal de fois à Houston dans le bureau des astronautes, on s’est découvert pendant la mission.

Le voyage en Crew Dragon, heureusement que pour nous je n’ai pas grand-chose à en raconter (rires).
Ah non, c’est pas vrai, j’ai une chose à raconter (sourire) : Il y a quelques différences par rapport au Soyouz, un peu plus sport je trouvais, deux étages au lieu de trois, ça pousse un peu plus fort, mais à part ça, pas grand chose à signaler, jusqu’à ce qu’on arrive en orbite.

Une fois arrivés en orbite, on déploie tout. La différence par rapport au Soyouz, c’est que Soyouz a vraiment deux volumes. On voit souvent celui dans lequel on est assis.
C’est les images, on est assis, harnachés, on est serrés un peu version claustrophobe, mais il y a un module au-dessus, qui s’appelle le BO, le module de vie, et du coup ça nous permet pendant le vol orbital, pendant qu’on rejoint la station, quelques dizaines d’heures en général en Soyouz, de se répartir quelque peu, pour un de faire sa toilette pendant que les autres sont dans le cockpit ou vice-versa, au final, on organise la vie à bord assez facilement.

Dans le Dragon, il y a juste un grand volume, on a l’impression que c’est super spacieux, qu’il y a beaucoup de place, mais au final pas tant que ça, parce qu’on fait tout dans le même volume..
On a des petites toilettes qui sont vers le haut. On déploie une sorte de rideau au milieu de la cabine, qui n’est pas hyper pratique. Tout est un peu un peu plus compliqué à organiser, mais bon, ça se fait bien.

Tout ça pour dire que, le ‘’premier soir’’, avant de se coucher, après le décollage, l’arrivée en orbite, l’activation de tous les systèmes, première manœuvre de trajectoire, une fois qu’on est en route vers l’ISS, on a mis 23h à peu près pour rejoindre la station, on déploie ce rideau, on installe les toilettes, on sort la nourriture, les sacs de couchage, les changes, les vêtements, on met des vêtements chauds, on range les scaphandres, bien rangés, etc…

Tout était vraiment prêt pour la nuit, et là, on a un coup de fil de SpaceX, du centre de contrôle, qui nous dis << dans 20 minutes, on a une conjonction avec un débris. Il faut que vous soyez dans les scaphandres, tout fermé, tout rangé  >>.
Pour info, c’est un truc qu’on fait en une heure normalement de tout ranger, de tout remettre en place. Rien que de se mettre dans les scaphandres, c’est difficile. Les scaphandres sont assez seyants.

C’est aussi une volonté de SpaceX que ce soit sympa, par contre, on ne peut pas l’enfiler tout seul, il faut être aidé par un collègue, ou par deux collègues, pour l’enfiler notamment au niveau de la poitrine, c’est super serré et surtout en apesanteur, on ne peut pas se servir du poids des scaphandres pour le faire tomber sur les épaules, il s’enfile par le bas… donc, il a fallu se mettre en branle-bas de combat, et puis finalement, au bout de 20 minutes, je me rappelle très bien, je ferme ma dernière fermeture sur les gants, tout le monde est dans les scaphandres, on a tout rangé, on est étanche dans les scaphandres, casque fermé, attachés sur les sièges avec toutes les sangles, tout est rangé, il n’y a rien qui traîne dans la cabine.
On est en sueur avec Aki parce que c’était Aki et moi-même qui étions responsables de se qui se passait dans la cabine, pendant que Shane et Megan regardaient leurs écrans… et là, on a le coup de fil << c’était une fausse alarme. On n’a pas de débris. Merci, c’est bon, vous pouvez tout redéployer.  >> !

On pensait que c’était une blague, mais en fait pas du tout… C’était apparemment une simulation de l’US Air Force qui, de temps en temps, introduit des faux objets dans ses systèmes pour faire entraîner ses opérateurs, et en fait, ce truc s’était propagé jusqu’à la NASA, jusqu’à nous. Ce n’était pas un vrai objet, juste une simulation.

A part ça, il ne s’est pas passé grand-chose. Rendez-vous orbital automatisé. On se docke à l’avant de la station spatiale et on rejoint nos collègues de l’expédition 65, ça devient compliqué de compter les Expeditions.
Avant, c’était assez simple, l’équipage, c’était une Expedition, les Soyouz se suivaient régulièrement et prenaient la relève une fois de temps en temps. Maintenant, avec les Dragon, les Soyouz, les changements d’équipage qui se font en direct, c'est-à-dire, avec un recouvrement, alors qu’avant on se succédait, c’est devenu un peu plus compliqué.
Mais en gros, on était l’Expedition 65-66. Pour ceux que ça intéresse, il y a des nuances : 65A, 65B, 66A, B, etc…Mais, donc, un équipage de 11 à bord de la station, donc beaucoup de monde.

Pour ma première mission, on était au maximum 6, pour ma deuxième mission, on était au minimum 7, ça change un peu entre les départs et les arrivées. Mais maximum 11.
11 personnes dans la station, je n’avais jamais vu ça. Ça se passe plutôt bien.

On s’est mis au boulot assez rapidement. Crew 1, nos prédécesseurs sur la station, sont redescendus au bout de quelques jours, on a été quelques jours dans la station avec eux.
Et heureusement j’ai envie de dire. Même si on les aimait bien, ça fait quand même beaucoup de monde. On n’a qu’une machine de sports, un seul vélo d’appartement, on n’a que deux toilettes, on n’a que six couchettes. Et quand on se retrouve nombreux, c’est un peu compliqué d’organiser la vie à bord de l’ISS. Et puis bizarrement, on ne fait pas forcément plus d’expériences scientifiques en multipliant les membres d’équipage. Parce qu’en fait on multiplie en zones de contraintes.

Les gens qui gèrent notre planning font en sorte qu’o ne se marche pas sur les pieds. Du coup, on essaie d’être un par module, les choses sont quand même séquentielles, on ne peut pas trop faire en parallèle. Donc au final, il n’a pas de courbe proportionnelle entre le nombre de gens qu’on met dans l’ISS et le nombre d’expériences scientifiques qu’on fait, qui est un peu le paramètre de sortie, l’output, de ce qu’on fait dans l’ISS.

La courbe monte jusqu’à un certain moment. Elle monte fort au début, parce que il y a une partie incompressible, la maintenance, l’entretien, la logistique, tout ça qu’il y ait 2, 3, 5, ou 6 personnes, c’est toujours à peu près le même nombre d’heures. Il faut tester le système d’eau toutes les deux semaines par exemple, il faut vérifier son équipement d’urgence toutes les trois semaines, donc ça, qu’il y ait une personne ou 10 personnes, c’est le même nombre d’heures comme je l’ai dis.
Donc, on va dire que, quand on a 3 personnes à bord de l’ISS, on a peu de temps à consacré à la recherche au final, parce qu’on obligé de consacrer ce temps incompressible, à assurer notre présence à bord. Ensuite, à partir de 4, 5, 6, là on commence vraiment à monter sur la courbe de la recherche scientifique, et puis, à partir de 7, 8, 9, ça plafonne un petit peu, voir même ça retombe. Ensuite, on a trop de gens, trop de contraintes, trop de logistiques.

Donc, nous, on s’est retrouvé à 7 pour une grande période de quasiment 5 mois, avec notre équipage de Crew 2 et l’équipage du Soyouz, avec Oleg Novitski, encore une fois un usual suspect pour moi parce que c’était mon commandant Soyouz pendant ma première mission. Donc, on a passé 6 mois ensemble, plus l’entraînement, donc on se connait super bien. Là, on n’a pas décollé ensemble vu qu’il était sur Soyouz et moi Dragon, on a passé la majeur partie de la mission ensemble.

Mark Vande Hei, Oleg et Piotr Dubrov dont c’était le 1er vol, étaient l’équipage du Soyouz. Oleg, c’était son 3ème vol et il est arrivé à 500 jours en orbite et Mark Vande Hei, c’était son 2ème vol.

La mission en elle-même : objectif science, je n’ai pas de statistiques précises, même si j’ai vu passer une présentation de la NASA hier. 232 expériences pour l’ensemble de l’équipage, mais si bien sûr aucun n’a touché à toutes. Moi, c’était dans les 130, Aki dans les 140, Megan et Shane un peu moins.

On a eu des expériences sur le système immunitaire dans l’espace. Dans cette glove box qu’on pourrait traduire par hotte, parce que c’est ça le principe, c’est d’isoler ce qu’il y a à l’intérieur de l’extérieur, et vice-versa pour la sécurité.
Cette glove box a beaucoup d’heures de vol, plein d’expériences s’y sont succédées.
Celle-là est dans le laboratoire japonais, il y a une autre dans le laboratoire américain.

Le menu scientifique habituel : côté européen, on avait une soixantaine d’expériences, on en avait 12 nouvelles du CADMOS et du CNES : on en avait une sur le cycle du sommeil, il y a avait une qui était sympa avec une sorte de pince ultrasonique – on créé des ondes ultrasons qu’on ne peut pas entendre, et en les combinant avec pleins de sources, on arrive à créer un endroit où en gros, elles se neutralisent, et si on arrive à capter un objet dans cet endroit là, et bien on peut le déplacer sans le toucher. C’est assez sympa pour nous à bord de l’ISS, mais évidemment sur Terre, ça peut avoir des applications assez chouettes.
Comme d’habitude, beaucoup de recherches.

Pendant cette mission, on a fait un paquet de sorties. On est parti pour deux sorties au début. Installation du panneau solaire. L’ISS a 8 panneaux solaires d’une superficie d’environ 8 terrains de basket. Une puissance assez élevée avec environ 70 Kw, on a souvent de la marge. Mais, çà a tendance à vieillir, la station se développe, on rajoute des modules, on rajoute des équipements. Des équipements qui sont super gourmands en énergie électrique, comme par exemple les fourneaux pour la science des matériaux. Ça prend énormément de puissance.

On fait fondre des métaux à bord de la station, ça prend pas mal d’énergie pour la recherche. On s’est rendu compte aussi avec la dégradation des panneaux solaires et des batteries, qu’il allait falloir mettre un peu tout ça à jour.

On a ce concept cde panneau solaire qui se déroule, donc super sympa. Un peu comme les poches de pantalon pour ceux qui font du vélo. Ils font environ 350 kg chacun, et il a fallu les installer tout au bout de la station, donc à babord, à gauche, on était le plus loin possible du sas de sortie.

Il y a un support qui a été construit par une sortie précédente. C’était super loin. On a dû se passer le panneau. Moi j’étais sur le bras robotique piloté par Megan et Shane sur la structure. Je passais à Shane qui me le repassait et ainsi de suite. Une chorégraphie super compliquée, mais qu’on a répétée de nombreuses fois en piscine, mais malheureusement, tout ne s’est pas passé comme prévu.
On s’est rendu compte que le panneau solaire ne s’engageait pas quand on le déployait. Ce qui n’était pas un super moment. On a aussi Shane qui a perdu les lumières de son casque, il a fallu bricoler un truc à la McGyver en sortie extravéhiculaire.
Heureusement que j’ai pu lui rattacher avec une petite longe anti-dérouleur, un objet qu’on a pour tenir tous nos outils. Au final, un petit bricolage rapide et ça a tenu tout le reste de la sortie, c’était bien.

Il faut environ 25 min pour atteindre le bout de la station que ce soit à pied ou en bras robotique si tu y vas à un rythme normal. De toute façon, ce à quoi on s’entraîne en piscine, dans n’importe quel scénario d’urgence, il faut qu’on soit retourné au sas en 30 minutes.
Donc, ça veut dire que tu te ramènes toi, mais aussi, ramener un gars qui peut-être complètement out, ce qui n’est pas l’exercice le plus facile, parce que mine de rien, ça pèse son poids un crewmember en scaphandre, enfin disons que c’est une grosse charge qui est difficile à manœuvrer.

Donc voilà, heureusement qu’il y a toujours un plan b, c, d, etc…on avait de quoi le maintenir en place.

On rentre, et puis on en parle avec nos équipes au sol, et suite à tout ça, on développe un nouveau plan. On ressort, on n’était pas hyper confiants. Moi, je n’étais pas hyper confiant. Le nouveau plan, on l’a fait en deux-trois jours. Je me disais qu’il y a quand même des chances que ça ne marche pas. Encore une fois, on avait plusieurs idées pour alléger la géométrie en fait, c’était trop contraint, on avait trop de, trop… on n’avait pas assez de degrés de liberté on va dire, mécaniquement. Et finalement, on démonte un peu, on remonte, hop, et là, ça marche la deuxième fois, donc on était super content.

Pendant cette deuxième sortie, on fini donc le premier le panneau solaire, et pendant la troisième, on remet notre nouvelle technique, notre nouvelle procédure. On s’attaque au 2ème panneau solaire qui lui marche, enfin pas du premier coup. Même problème que le premier, mais du coup cette fois-ci, on s’y attendait. On arrive à finir pendant le temps de la sortie.

Donc trois sorties extra-véhiculaires au lieu de deux, ça c’était au mois de juillet, juin-juillet. Puis ensuite, à la fin de la mission, je suis sorti avec Aki, pour un peu sur le même thème. Pour préparer non pas ces panneaux solaires-là, ils étaient montées avec un Cargo Dragon de SpaceX et on en avait que deux et on les a installé les deux, mais pour l’arrivée des prochains..
Ah oui, on les déployé ensuite. C’est moi qui dévissais un boulon, et le truc se déployait. Ça c’était un moment un peu stress aussi car il fait 17 mètres de haut le panneau solaire, et s’il se bloque au milieu, il n’y a pas moyen de monter le débloquer – c’était un peu one shot. Heureusement, ça a bien marché.

Maintenant, la station a deux nouveaux panneaux solaires qui donnent 30% de plus d’énergie électrique sur ces canaux-là. Il y a huit canaux électriques. Et la dernière sotie, c’était pour installer le support qui va servir dans le futur à installer ces nouveaux panneaux solaires. Nous, on en a installé deux, au final, on voudrait en mettre six sur la station.
On va assister à la même sortie extra-véhiculaire dans les années qui viennent, et vu que c’tait quand même une aventure ce truc, on va sans doute, avec Shane, participer je pense à la préparation et à l’exécution de ces sorties dans le futur.

Voilà, on a faite cinq sorties ensemble avec Shane, deux pendant ma première mission, et trois pendant ma deuxième. Je pense que c’est un record. Encore une fois, je n’ai pas regarder, mais il n’y a pas beaucoup de gens qui ont fait autant de sorties en binôme, ce n’est pas si souvent que ça. Au final, à part cette sortie avec Aki, j’ai failli faire toutes mes sorties de ma carrière avec Shane.

On a vu pas mal, malheureusement, de phénomènes climatiques majeurs, notamment ouragans (Ida), on a vu aussi beaucoup de feux, feux de forêts en Grèce, dans le sud de la France, autour de la Méditerranée, en Turquie, et beaucoup au Canada et en Californie. Ça c’est vraiment des images, vous les avez peut-être vu car je les avais partagé à l’époque, on a les 2/3 de la Californie qui sont sous la fumée. Ou des régions entières, des nuages de fumée qui avançaient, version fin du monde. C’était quelque peu inquiétant, et puis la succession de tornades, enfin des ouragans, dans le Golfe du Mexique qui passaient les uns après l’autre, on voyait déjà le suivant qui se formait, je ne sais pas, deux ou trois mille kilomètres plus loin.

Les aurores boréales, c’était un peu le côté sympa de cette mission. Lors de ma première mission, je n’en avais pas vu quasiment, un tout petit peu, juste des petites.
Lors de cette mission-là, au contraire, c’était un peu un son et lumière, le show.

Ça a commencé, je crois que c’est Megan qui a vu la première, elle était dans la Cupola, elle a appelé tout le monde « ooohoohoo », et tout le monde a rappliqué dans la Cupola, et on a eu des shows assez incroyables. On est passé en plein milieu, avec les pics autour de nous. C’était exactement une aurore australe, on était dans l’hémisphère sud. On était quelque part entre Kerguelen et le sud de l’Australie, c’est dans cette zone-là qu’on voit beaucoup de chose.
Bizarrement, on a vu beaucoup d’aurores australes. On a eu une série d’aurores boréales fortes, que j’ai postées récemment d’ailleurs. Mais sinon, la plupart étaient australes. Et c’est marrant, parce que les gens connaissent bien ce que veut dire aurore boréale, mais quand je dis australe, ils demandent qu’est-ce que c’est.
Shane dormait dans le Crew Dragon qui a deux fenêtres qui pointaient vers l’avant de la station, et ça lui faisait un peu un poste d’observation pour lui. Il faisait ses mails, puis voyait l’aurore arriver de super loin. Il descendait nous le dire, et on avait le temps de se mettre dans la coupole avec un appareil photo, et c’est pour ça aussi qu’on a deux-trois images sympas.

Le retour, 199 jours 17 heures et je sais plus combien de minutes ni secondes. On va dire 200 jours en gros, 200 journées.
Le retour sur Terre était un peu sportif parce que on a essayé de se coordonner avec Crew 3. On voulait se chevaucher à bord. Il y avait Matthias à bord, et on aurait été content à l’agence spatiale européenne d’avoir deux européens à bord, même si c’était juste pour quelques jours. Mais au final, ça ne s’est pas passé comme cela.
Eux, étaient prévus pour tirer le 1er novembre, et finalement, ils ont été retardés deux fois, puis on commençait à se poser la question de savoir, si eux sont retardés, nous on va arriver, non pas en bout de vie mais presque. Les véhicules sont certifiés pour que le Dragon reste 210 jours en orbite, au-delà, il faut regarder. Il nous restait un peu de marge, mais on commençait à arriver vers la fin. S4ils sont encore retardés, la météo pour le lancement n’est pas bonne, pour le retour aussi, qu’est-ce va donner ? etc… Au final, la décision a été prise de découpler les deux événements, avec cette météo capricieuse. On avait une bonne fenêtre météo, on a donc dis Go, on y va !

On est parti le 8 et arrivé le 9. On a fait le fly around de la station, ce qu’on n’avait pas fait depuis la navette. La navette en partant faisait toujours ce tour de la station. La navette c’est super manoeuvrant. Ça se pilote très très bien, plus qu’un Soyouz, et du coup lorsque la navette se désarrimait, elle faisait toujours un petit tour, enfin à 150-200 mètres de la station pour inspecter, les gars prenaient des photos dans tous les sens, ensuite ils faisaient leur rentrée atmosphérique et leur descente.

On n’a plus fait ça depuis 2011. Il y a aussi Paolo Nespoli qui a fait des photos de la station avec la navette arrimée, mais c’était compliqué, le Soyouz ayant une petite fenêtre seulement de chaque côté, et en scaphandre et avec des longues focales, c’était presque mission impossible..

Là, on a eu l’occasion de le refaire – j’ai fait 2 000 photos pendant le fly around.

Les fenêtres sur le Crew Dragon ne sont pas géniales optiquement, car il y a beaucoup de protection et différentes couches de verre, ça fait qu’on ne peut pas prendre malheureusement des photos très zoomées sans qu’elles soient un petit peu floues. Mais au final, on est arrivé à en faire quelque chose, et il y a des photos sympas qui sont sorties. Mais surtout le but, c’était d’observer l’extérieur de la station, pour que les ingénieurs puissent, au final, on a très peu de vues de l’extérieur de la station. Donc, c’est super utile aux gens qui s’en occupent techniquement.

Rentrée atmosphérique – rien de spécial à signaler. Ça a très bien marché. Encore un peu un son et lumière car il y a de grandes fenêtres dans le Crew Dragon. C’était assez marrant pendant la rentrée atmosphérique, le freinage avec le bouclier thermique qui brûle en fait petit à petit. Le plasma, les gaz ionisés par la chaleur autour de nous qui deviennent tout roses, et donc par les fenêtres, comme l’intérieur de la cabine est complètement blanc, ça devenait complètement rose à l’intérieur du Dragon. C’est assez sympa. Même si on était écrasé sous 4g dans le Dragon, c’était rigolo, plutôt relaxant.

L’atterrissage, amerrissage, dans le Golfe du Mexique, au large de Pensacola, de l’autre côté de la Floride, pas le côté Atlantique on va dire. La récupération s’est très bien passée. Les bateaux nous rejoignent tout de suite. On est sorti de la capsule. On est ramené en hélicoptère vers la côte, ensuite on emmené directement vers Houston, où mes collègues sont restés avec Aki. Moi, j’ai été rapatrié par l’Armée de l’Air française à Cologne.

Et ensuite, la mission ne s’arrête pas là, débriefing, expériences, etc, etc, qui m’ont amenés jusqu’à maintenant quasiment, parce que ce n’est toujours pas fini.

J’ai eu un peu de vacances pour Noël quand même, pour Noël et les fêtes de fin d’année. Là, il reste encore un peu de boulot pour finir la mission.

Une belle photo de la Lune, je ne sais pas si c’est moi qui l’ai prise, mais pour vous dire que la suite, c’est ça.

Quel a été le principal défi par rapport à Proxima ? C’est quoi ? Tes 49 tests OCR que tu as dû passer ?
C’esr sûr que la Covid a changé pas mal de choses pour nous, mais au final, on s’est plutôt bien adapté.
C’était pas hyper marrant, socialement on va dire. Ce qui a été le cas pour beaucoup de gens, je comprends bien que je ne suis pas un cas particulier.

Mais je me rappelle que des astronautes expérimentés avaient coutume de dire que le truc le mieux après avoir volé dans l’espace, c’est l’entraînement pour voler dans l’espace. Et 99% de la carrière d’un astronaute, on n’est pas dans l’espace. 10% on s’entraîne pour une mission, et le reste du temps, on est au sol, on essaie de faire en sorte que les missions se passent bien pour les collègues. Il y a énormément de boulot, c’est une surprise pour personne, pour envoyer les gens dans l’espace. Donc, on participe à ça. En ce moment, tous mes collègues qui ne sont pas dans l’espace bossent au sein de l’agence, ont plein de tâches qui ne sont pas forcément gratifiantes ou glamour. Mais c’est nécessaire.

L’entraînement, d’habitude est un moment sympa. On passe du temps avec nos collègues. Mais là, ça été moins le cas, très isolés, moins voyagé, on a fait beaucoup de choses en distanciel. Finalement, ça a marché, mais quelque part, c’est dommage, on a l’impression que ce temps-là qui était plutôt sympa d’habitude, on l’a un peu raté .

Je voudrais que tu reviennes sur deux incidents qui ont eu lieu pendant ton séjour : d’abord l’arrimage du cargo qui vous a fait apparemment partir un peu en vrille, et puis le 2ème incident, qui sur le coup a fait rigolé tout le monde, mais qui était plus sérieux que prévu, qui est le problème des toilettes.
Pendant ma première mission, on a eu deux-trois fausses alarmes, quelque chose comme ça,  mais là quand même, une fois par mois, presque une fois par mois, on a eu l’impression d’avoir un truc un peu sérieux, entre cette EVA qui n’a pas entièrement marché, qui était au moment où ça s’est passé pas hyper rigolo. Et puis les deux-trois choses que tu viens de mentionner. La plus importante, deux fois pendant la mission, on a perdu l’orientation de la station.

Perdre l’orientation, qu’est ce que ça veut dire ? La station pour qu’elle puisse voler sur son orbite, c’est du vol balistique, comme un boulet de canon qui est lancé autour de la Terre. Ce n’est pas comme un avion qui a besoin de se sustenter, de sustentation pour s’appuyer sur l’air. Nous, on peut voler en arrière, en avant, ce n’est pas grave, tant qu’on est sur notre orbite. Mais on a l’habitude de voler toujours sur la même orientation, notamment pour les antennes de communications, et puis aussi, on ne veut pas trop secouer la station spatiale, parce que les panneaux solaires, c’est des choses très fines, et ils sont loin de la station, donc si tu commences à tourner, il y a des chances que tu arraches quelque chose, que des choses cassent. Donc, on tourne tout doucement quand on a besoin de tourner, et tout est très contrôler. Et en règle générale, on a le ventre de la station qui regarde la Terre.

Un beau jour de juillet, je crois, on a ce module russe, MLM, qui vient s’arrimer à la station, qui est le module le plus récent de la station, en terme d’arrimage, mais pas le plus récent en terme de construction puisqu’il a,  quand il arrive, une douzaine d’années en retard.
Il a eu plein de problèmes pendant l’assemblage, la préparation côté russe, et finalement, moi je l’ai toujours vu sur le plan de vol depuis que j’ai commencé ma carrière en gros. 2009, 2010, 2011, il aurait dû être lancé. Finalement, ça a pris pas mal de retard, et puis, on est cet équipage qui finalement voit cette arlésienne du plan de vol, arriver à bord de la station.

On se prépare. Malheureusement, il a un petit souci dans sa propulsion, et on pense que c’est possible, il y a une petite vanne de sécurité qui a été ouverte et qui n’aurait pas dû l’être.
On pense qu’il y avait des ergols dans le système de pressurisation, on n’est pas sûr.

Donc, on se prépare à plein d’éventualités au moment où il arrive pour se docker avec la station. Donc, il se docke côté russe. Notamment, nous, on se prépare du côté américain plutôt à l’avance. On se met, pas dans nos scaphandres, mais dans ce qu’on porte sous nos scaphandres. On réactive notre Crew Dragon. On est prêt à partir. S’il se passe quoi que ce soit, tac, on saute dans la capsule, et on s’en va. Les russes font pareil côté Soyouz.
Et puis, comme d’habitude, tout se passe bien. Tout se passe bien, ça s’arrime, c’est super.

Je ne dis pas, on ouvre le champagne, parce qu’on n’a pas de champagne dans la station, mais c’est un peu cette sensation-là. Finalement, on a fait tout le boulot, tout préparer, on était prêt à toutes éventualités, il ne se passe rien… et tout le monde retourne au boulot. Nos collègues russes préparent notamment à intégrer ce nouveau module à bord de la  station.

Et là, surprise du chef. Ce qu’il se passe quand ils intègrent le système informatique de la  station spatiale côté russe pour contrôler ce nouveau module qui arrivait, ça réveille ce nouveau module, et là malheureusement il se croit, pour une raison qu’on ignore, il se croit en vol tout seul, en vol orbital. Donc, il n’a pas compris qu’il est attaché à la station. Et il fait le premier truc qu’on fait en vol orbital, il va déterminer son orientation et son attitude, et il va prendre son orientation à lui, c'est-à-dire ventre vers la Terre. Sauf que malheureusement, il commence à allumer ses moteurs et puis il veut mettre son ventre vers la Terre. Le gros problème, c’est qu’il est attaché à la station, donc il commence à emmener toute la station avec. La station résiste, on n’a que les gyros, les moteurs ne sont pas branchés. Mais les gyros(copes), ça ne va pas gagner contre les moteurs. Et donc, la station commence à partir en tangage. A un moment, les gyros disent ‘’moi je ne peux plus faire, boum, je déconnecte’’. On a toutes les alarmes rouges, perte d’orientation.

Le centre de contrôle nous appelle. Je me souviens le gars dit : << ce n’est pas un entraînement. On a une perte d’attitude. Procédure 2 décimal 712, je me rappelle. On vous veut dans la procédure 2 712, ce n’est pas un entraînement >>.

Donc, on fait ça, on récupère un petit peu tout. Au final, ça s’est bien passé. On a fait un tour et demi quand même. On a fait un looping et demi en station spatiale, il n’y a pas beaucoup de gens qui ont fait ça. On ne s’en est pas rendu compte à l’intérieur, on ne l’a pas senti si tu veux. C’est parti quand même assez doucement. Dans le spatial, on assez fait peu de valeurs agressives, en soi c’est cool. C’est parti assez doucement, c’est juste quand on a regardé par la fenêtre, on vu la Cupola, qui normalement regarde la Terre, regardait à 45° vers le haut, et là on s’est dit qu’il y a un truc qui est en train de se passer, et puis finalement, au bout de, au total, ça a duré une vingtaine de minutes, on a récupéré l’orientation de la station, et il ne s’est pas passé grand-chose. On a perdu un  peu de carburant, mais ce n’est pas grave.

Ça s’est passé une deuxième fois, pendant un test du Soyouz. Avant de rentrer sur Terre, le Soyouz teste sa propulsion aussi, et là malheureusement c’est pareil, il y avait une configuration qui n’avait pas été bien faite par le sol, et du coup, quand Oleg a testé sa propulsion, le propulseur s’est déclenché, ce qui est normal, mais ne s’est pas arrêté.
Au lieu de faire juste un petit pschittt pour le tester, il est resté comme ça pendant 17 secondes ouvert, et là, c’est pareil, on a la station qui a commencé à partir, et on dit << encore ! faut pas déconner quand même ! >> (rires), et là on l’a récupéré encore un peu plus vite.

Voilà, on a eu ces deux trucs là qui se sont passés. Ça s’est pas passé en 15 ans, et nous, on l’a eu deux fois en deux mois d’intervalle.

Pour les toilettes du Crew Dragon, on s’est rendu compte avec Inspiration4, qui est la mission de SpaceX qui a lancée des non-professionnels dans l’espace pendant notre incrément de 6 mois. En fait ce qu’il s’est passé tout bêtement, les systèmes de toilettes c’est plus compliqué que ça en a l’air dans la station, parce qu’il y a toujours un ventilateur, il y a toujours manière de neutraliser l’urine, etc… Ça va dans une espèce de réservoir, et l’interface entre le tuyau qui amène l’urine en haut et le réservoir en bas, il y avait une espèce de joint qui apparemment a lâché, non seulement à cause des vibrations mais aussi de la corrosion de l’urine qui n’avait pas été bien dimensionnée.
Et donc, il y a l’urine un eu vaporisée, mélangée à un produit qui la neutralise, qui a commencé à ce répandre à l’interface entre le tuyau et le réservoir. Donc, eux, ils se sont rendus compte de ça. Du coup, ils ont passé quasiment tout leur vol sans toilette – quand tu payes des millions de dollars pour aller dans l’espace, ça fait quand même un peu mal je pense – et du coup, on a fait une inspection sur le nôtre.
On s’est rendu compte qu’on avait le même problème, tant mieux pour nous.

Qu’est ce que ça a changé ? on a neutralisé.
Il y a eu beaucoup d’études pour déterminer de manière certaine que cette espèce d’urine vaporisée neutralisée qui s’était quand mêle déposée un peu sur la structure à cet endroit-là n’allait affaiblir la structure de notre véhicule. Beaucoup de boulot au sol pour nous valider pour notre retour. On a fait un retour sans toilette. On a fait avec les moyens du bord, couches, je te passe les détails, mais ce n’était pas glamour. Heureusement, on est resté juste un peu plus de 6 heures dans la cabine. Il y avait des options de retour en 24h, mais on n’était pas très partants pour celles-là.

Tu peux nous parler de l’aspect longue durée. Tu as parlé d’un coup de mou. Est que quand tu parles avec tes collègues qui ont fait 6 mois dans l’espace, est ce qu’on retrouve des courbes où on est un peu fatigué ? Ou était-ce le côté consécutif de tes deux missions ?
Ce n’est pas le côté consécutif des deux missions.
C’est vrai que les gens ont repris le terme de coup de mou, mais en fait, c’est comme je l’ai expliqué il n’y a pas longtemps, c’est un peu toujours la même structure, c’est marrant comme ça se découpe. Une expédition, que ce soit dans l’espace, en sous-marin, en base polaire, ou ailleurs, je ne sais pas, peut-être même en colonie de vacances, il y a toujours le début qui est intense, où tu t’habitues, etc…, après là où tu découvres l’environnement, où tout est nouveau, ensuite, tu as une phase où tu es très opérationnel, où tu es plus efficace parce que tu t’es approprié l’environnement, et il se passe plein de choses. A la fin, tu as une phase où tu prépare le retour. Tu es content parce que tu reviens retrouver les tiens, etc…tu commences à y penser. Et puis, à peu près au, moi ce que j’appelle le troisième quart, je crois que c’est à peu près ça, une fois que tu as passé le milieu, tu as ce truc un peu psychologique où c’est la partie la moins intéressante. Tant que tu n’as pas passé le milieu, tu as l’impression que tu es toujours en train de monter, tu t’imagines la randonnée en montagne, et puis après, une fois que tu as passé le milieu, tu es un peu en descente, et cette phase-là, en plus pour nous, elle correspond bien peut-être à un moment où on a moins de choses à faire, puisqu’on avait fini la première série d’EVA qui nous bien occupée.

On avait eu un véhicule SpaceX Cargo qui nous a amené beaucoup d’expériences scientifiques, parce qu’il monte, reste un mois accroché, et redescend : il nous amène les expériences, on les fait toutes, et il redescend les échantillons, donc c’est une période où on esr super occupé. Et là, dans ce troisième quart, c’est un moment où on n’avait pas de véhicule cargo, pas de sortie extra-véhiculaire.

Je me rappelle, On se regardait avec Shane et on se disait << Ben voilà, on a l’impression d’avoir déjà tout fait >>, et il restait la moitié de la mission. Heureusement, que ça a repris très très vite. On a un autre véhicule cargo qui est arrivé, et puis au final entre ce moment là et la fin, on a l’impression qu’il s’est passé qu’une semaine, alors qu’il s’est passé trois mois. On retrouve ce type de schéma dans toutes les expéditions, quand tu pars un peu loin, pour faire des trucs un peu aventureux, et à ce moment.

Le remède à ça, c’est d’avoir beaucoup de boulot. Tant que tu as du boulot, tout se passe bien. J’avais vu mon collègue russe qui n’avait pas été ravitaillé parce le Progress, le véhicule cargo avait explosé au décollage, juste après mon décollage en 2016, et pendant un mois, il n’avait pas de ravitaillement, il y avait moins d’expériences scientifiques, etc… Et quand t’es bloqué dans la station spatiale, tu n’as pas de boulot, tu peux prendre des photos, mais au bout d’un moment quand même tu penses à ta famille, tu tergiverses, etc…

Est-ce que vous ne regrettez pas un peu le manque d’ambition de l’Europe en matière de vol habité ? Est-ce qu’on pourrait faire plus ? Qu’est ce qui faudrait que l’Europe fasse pour avoir une ambition et une vision ?
Je pense que l’ambition, on en a parlé dans les années 90, ça s’est pas matérialisée. En ce moment, aujourd’hui, on vit une époque où il y a beaucoup d’envie d’aller dans l’espace, que ce soit de différents pays, des instances privés, vous connaissez ça aussi bien que moi, il n’y a jamais eu autant de véhicules spatiaux, il n’y a jamais eu autant de lanceurs, etc…. Cette volonté politique, on en parle. On en parlait justement hier avec l’agence spatiale européenne. Je pense que ça vient en même temps qu’une espèce de maturation de l’Europe. On commence à parler d’une Europe de la défense, d’une Europe de la diplomatie, etc… On fait beaucoup de choses pour les applications dans le spatial, mais maintenant, on doit vraiment réfléchir à une ambition un peu plus forte au niveau européen.

De toute façon, moi, si je parle d’exploration, de vol habité, c’est pas compliqué. Il faut une destination, un laneur et un moyen d’arriver à destination. Donc, la destination aujourd’hui on l’a, c’est l’ISS, demain, on la connaît, ce sera la gateway autour de la Lune ou la Lune, on s’est engagé dans ces programmes là. Un lanceur et un véhicule. On a les laceurs les meilleurs du monde, quasiment, avec Arianespace en Europe, mais on n’a pas de véhicule habité, c’est un peu ça qui nous manque pour être maître de nos affaires, on va dire. Il y a cette volonté qui existe. Ce sont des sujets qu’on n’entendait plus, je pense, fin des années 90, début des années 2000, et qui reviennent quand même très fort avec une ambition européenne, avec une valeur un peu symbolique, et… voilà.

Il faut faire attention à ne pas tout dupliquer non plus, parce qu’on est dans des programmes internationaux. Donc, si tout le monde fait un lanceur, tout le monde fait une capsule, tout le monde fait une station spatiale, quelque part, on part un peu en efficacité, parce qu’on a dépensé 3 fois le même argent. Donc, il faut essayer de se positionner avec nos partenaires, mais il y a une vraie discussion sur, on va le dire très clairement, sur une capacité humaine sur un véhicule comme Ariane 6, ce qui ne serait pas très difficile et faire une capsule

Est-ce que ça ne vous gêne pas le manque de souveraineté, le manque d’autonomie dans le vol habité et dans l’exploration ?
Oui, ça serait super si on savait tout faire, mais, comme je dis, il faut se replacer dans un contexte international. Dans le cadre de la station, on arrive quand même à avoir accès à ce laboratoire-là, environ 10%, c’est assez pratique. Si on avait payé 90%, ce serait  une autre histoire. Donc, il y a aussi des choses qui sont vertueuses dans la coopération. Et d’ailleurs, c’est tout le débat ! C’est qu’on a : les capacités, on les a, le PIB européen est quasi le même, voir plus que celui des américains. Ils dépensent plus pour le spatial que nous en proportion, mais on a les capacités techniques, puis on a les acteurs industriels, on a les universités, on a les cerveaux, on a les ingénieurs, on a quelque part le PIB pour le faire, c’est un choix politique ! On verra ce qu’il va se passer dans les années qui viennent.

Qu’est ce que vous avez envie de faire après ? Quels sont vos envies et objectifs professionnels ?
Après pour moi, personnellement, on verra. Pour l’instant, j’ai surtout envie d’aller en vacances. Mais de vraies vacances. Pas juste une semaine. Là, j’ai enchaîné deux missions en 4 ans. Mine de rien, c’est beaucoup, parce que une mission, c’est six mois, il faut six mois pour s’en remettre, voir souvent ça déborde un petit peu en terme de travail, partie communication, etc…, partie physique. Et il faut deux ans d’entraînement à chaque fois, donc si tu comptes, ça fait 10 ans que j’ai la tête dans le guidon, et que je n’ai absolument rien fait d’autre que ça. Donc, à un moment, il va falloir un petit peu que je puisse me reposer.
Après, il y a plein de choses à faire au sein de l’agence, il y a plein d’autres projets ailleurs aussi, que j’ai la chance de peut-être pouvoir faire, donc on verra. Je n’ai pas de vrai plan, à part un peu de vacances en 2022, la suite on verra.

Comment vous sentez vous aujourd’hui trois mois après votre retour ? Physiquement, psychologiquement ?
Comment je me sens ? Physiquement, je me sens bien. J’ai récupéré plus rapidement, non pas plus rapidement que la première, mais le retour sur Terre a été plus facile. La première fois, ça été un peu compliqué, notamment pour le système d’équilibre, vestibulaire, oreille interne, etc… J’avais beaucoup de vertiges, beaucoup de désorientation, ce qui est normal. Cette fois-ci, beaucoup moins. Je pense que le corps apprend de son expérience en fait, se dire tout va mal, mais je me rappelle en fait et ça va revenir, je ne lance pas tous les systèmes d’alarme.

Je dis toujours que pour 6 mois de mission, il faut 6 mois pour s’en remettre complètement, mais on récupère très rapidement au début, ensuite ça se calme un peu. Moi j’ai eu un mois, entre un bon mois et 40 jours, où j’étais accompagné des coachs sportifs, non, plutôt par des gens qui sont experts de la physiologie de l’exercice : kinés, médecins, etc… pour être certain que tout va bien. Ça s’est arrêté à peu près aux vacances de Noël. Et depuis tout va bien ! Et tu vois, j’ai même skié pour la première fois depuis quelques années. Donc, physiquement, tout va super. J’ai récupéré la vision et tout ce qui va bien.

Psychologiquement, ça va aussi. Je suis juste un tout petit peu trop occupé. Mais c’est le problème de beaucoup de gens, pas juste le mien.
Et ce que je dis toujours, c’est plus facile d’être d’en la station spatiale en fait, où on bosse énormément mais il y a une clarté des priorités, il n’y a qu’un seul interlocuteur, tout le monde tire dans le même sens, il n’y a pas dix milles réseaux de communications, donc, ça c’est assez agréable au final d’être en expédition en mission. Sur Terre, il y a plus de téléphones qui s’installent, il y a des priorités persos, il y a la famille, le travail, il y a plein de choses comme ça à gérer. C’est plus compliqué, mais ça va revenir tranquillement, les factures à payer, le contrôle technique… un peu comme tout le monde. Mais ça va revenir.

Une question un peu décalée. Dans l’ISS, tout le monde travaille de concert, travaille dans le même sens. La cohésion est totale ou semble totale. Comment provoquer cet état d’esprit sur Terre dans les activités du quotidien ?
Comment créer une équipe qui marche en gros ? Ecoute, je ne sais pas. Je ne pense pas qu’il y ait de recettes miracles. Nous, la chance qu’on a, c’est que quelque part, on est sélectionné pour ça. Donc, psychologiquement, tu passes tellement de tests, que normalement, en bout de chaîne, tu as des gens qui sont faciles à vivre, qui savent communiquer, qui ne sont pas abrasifs dans leur personnalité, qui savent prendre en compte les autres autour d’eux, donc ça aide beaucoup.

Après, il faut se connaître, il faut se parler, il faut se connaître. On passe plein de temps au sol ensemble avant d’aller dans la station spatiale. S’il y a un conflit qui doit se déclencher, c’est pas grave, quand on se connaît et que les gens définissent un peu leurs périmètres, quand on forme le groupe, il peut y avoir des conflits et c’est normal, c’est même sain. Mais il faut qu’il apparaisse au sol. Quand on est sol, on se met dans des conditions difficiles, c’est pour ça qu’on fait des stages de survie et des choses comme ça, c’est pour un peu se stresser, voir ce qu’il en est. Une fois qu’on arrive dans la station, on est bien, et, je pense qu’il faut avoir un but commun, il faut que tout le monde ait conscience que, on tire dans le même sens, qu’il y ait quelque chose d’un peu supérieur aux intérêts de tout le monde. Si les gens sont là juste pour leur petit projet à eux, ça va tirer dans tous les sens, et au final, ça va mal se passer.

Au niveau des expériences, y-en a-t-il une en particulier qui vous a plu et qui a pu vous surprendre ?
Des expériences, il y en a eu plein. Moi, j’aimais bien celle sur le système immunitaire au début, parce que les gestes sont super complexes. On faisait du, on  n’est pas biologiste, on n’est pas médecin. C’est vraiment des procédures stériles, on a des gants comme à l’hôpital, etc…. on ne devait introduire aucun microbe, on stérilisait tout ça pendant des heures, et puis le système immunitaire, on sait qu’il réagit différemment dans la station spatiale. On ne sait pas tellement pourquoi d’ailleurs, mais on sait que ça existe, et ça nous suffit pour l’étudier. Evidemment, au vu de la récente pandémie, ce serait bien d’en apprendre un petit eu plus, comment ça marche, comment débloquer les immunités, les choses comme ça, et c’est ça qu’on regarde dans la station. Avec le spatial, comme exemple de stresseur du système immunitaire.

As-tu récupéré à 100% ?
Envie d’aller vers la Lune ? Mars ?
Est-ce que j’ai récupéré à 100% ? Je pense. Après, c’est difficile de mettre en pourcentage. En tout cas, je vieillis, je suis 5 ans plus âgé que ma première mission. Donc, si je ne refais pas exactement les mêmes performances de sport, , est-ce que c’est juste l’âge ? Est-ce que c’est la mission spatiale ? Je ne sais pas. Mais par rapport à mes performances d’avant-mission, qui datent il y a un an, je fais exactement la même chose, voir même mieux dans certaines catégories, ça c’est bien.

Le futur ? La Lune, c’est aujourd’hui. La première mission SLS/Orion au printemps si tout va bien, et deux ans après, la première mission autour de la Lune, donc ça va aller très très très vite. Et j’aimerai bien en faire partie. Mars, pourquoi pas, mais c’est un petit peu plus loin. On va déjà se concentrer sur la Lune.

Crédit : Stéphane Sebile / Spacemen1969
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