Elsa Montagnon a
été la Deputy Flight Director du programme Rosetta/Philae pour l’Agence
Spatiale Européenne (ESA) – elle est actuellement la Spacecraft Operations
Manager de la mission BepiColombo.
Entretien réalisé en avril 2015
Quel a été votre parcours scolaire,
universitaire, d’ingénieur et pourquoi avoir choisi le domaine du
spatial ?
J'ai un parcours
classique de ‘'bonne en maths'’ à la française. Lycée section scientifique,
classes préparatoires maths sup/maths spe, école d'ingénieur.
C'est en prépa
que j'ai vraiment commencé à me poser la question de ce que j'allais faire avec
mon futur diplôme. Je me suis posée la question de mon intérêt pour les
différentes disciplines, le terme d'ingénieur étant plutôt vague en soi.
Je me suis
rendue compte que j'avais une préférence pour le pluridisciplinaire, et que
l'un des seuls domaines que je trouvais vraiment intéressant était
l`aéronautique / aérospatiale, et la perspective de travailler dans un contexte
de collaboration internationale. C'est ce qui à motivé mon choix de l'Ecole
Centrale Paris, et ma participation à un programme de double diplôme avec l'université
technique de Munich en Allemagne, où j'ai fait ma spécialisation en troisième
et quatrième année.
Quel est le rôle
d’un Deputy Flight Director ? Pourquoi avoir accepté ce poste et pas un
autre ? Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette fonction ?
Le Deputy Flight
Director est responsable de la conduite des opérations pour son équipe, qui
couvre 12 heures par jour en alternance avec l'équipe menée par le Flight
Director.
Il s'agit de
s'assurer que les opérations se déroulent comme prévu, d'approuver les
déviations du plan de vol, et de coordonner le travail de l'équipe en cas
d'anomalie.
C'est un rôle
opérationnel, et non un poste à temps plein.
J'ai travaillé
dans l'équipe de contrôle de vol de Rosetta de 1999 à février 2007, et avais à
cette époque une connaissance très approfondie de la mission et du satellite,
ainsi qu'un très bon contact avec la communauté scientifique de la mission.
J'imagine que c'est la raison pour laquelle le Flight Director m'a proposé
d'être son adjointe pour les opérations d'atterrissage de Philae.
C'était une
occasion unique de participer opérationnellement à un évènement historique sur
une mission à laquelle je reste émotionnellement très attachée. Refuser n'était
pas une option.
Comment arrive-t-on à se motiver, à
continuer de s’impliquer pour des programmes spatiaux aussi longs ?
Certains de vos collègues travaillent sur Rosetta depuis 25 ans ou
presque ? Entre le décollage de Rosetta et l’atterrissage de Philae, il
vous a fallu attendre 10 ans.
Quand on est
jeune, c'est dur d'imaginer de telles durées, mais avec le temps, on réalise à
quel point la perception du temps qui passe est subjective.
Pour moi même,
j'ai une certaine capacité à me projeter dans l'avenir, à me créer une image mentale
de ce qui est prévu, et cela me rend l'évènement futur plus réel.
Après, il faut
aussi prendre soin de soi. Ce n'est pas un sprint, c'est un marathon.
Il faut
apprendre à ne pas tout traiter sur un mode crise mais à gérer ses énergies.
Dans mon cas, ca
veut aussi dire prendre du temps pour ma famille, surtout depuis la naissance
de mon premier enfant en 2013.
Quels ont été
vos premières pensées, vos premières émotions, à trois moments clés de la
mission Rosetta / Philae : le réveil en janvier 2014, la mise en orbite en
août et surtout l’atterrissage de Philae. On vous voit scruter anxieusement,
avec attention, les écrans de contrôle lors de cet atterrissage, puis exploser
de joie …
Pour le réveil
en janvier, le signal est arrivé avec 20 minutes de retard, et ces 20 minutes
ont été très longues.
En 20 minutes,
on a le temps de penser à tout ce qui a pu se passer de travers. Pour un
opérateur satellite, surtout sur une mission interplanétaire, ne pas avoir de
signal, c'est l'agonie.
Quand le signal
est finalement arrivé, c'était une grande joie et un énorme soulagement. Un
réveil au sens propre du terme. A partir de là, les choses peuvent vraiment
commencer.
Plus que la mise
en orbite, ce sont les manœuvres qui l'ont précédées qui ont mis les nerfs à
l'épreuve.
Chaque manœuvre réduisait
la vitesse de Rosetta par rapport à la comète.
Après chaque manœuvre,
la dynamique de vol nous donnait la date du survol de la comète par Rosetta si
aucune autre manœuvre n'était faite. Et au début, ce délai était
inconfortablement court.
Je n'avais pas
vraiment réalisé avant cette phase à quel point cette séquence de manœuvres était
critique.
La dernière manœuvre
pour l'insertion critique était de vraiment petite magnitude, et donc
relativement moins risquée que les précédentes. Une arrivée en douceur donc.
Dans cette période, l'autre
moment qui a vraiment surpris, c'est en juillet quand la forme de la comète a
commencé à être visible. Personne ne s'attendait à cette forme !
Maintenant l'atterrissage de Philae. Nous savions que c'était très risqué,
encore plus depuis les évènements des heures précédant la séparation.
Alors on rationalise. De notre côté, la
stratégie de rationalisation, c'était : si on sépare, c'est bien. Si on
acquiert le signal de Philae pendant la descente, c'est très bien. Si on touche
la comète, c'est très très bien. Si on a encore le signal après avoir touché,
c'est le jackpot.
La signature du premier touch-down était
très clair dans la télémesure, et quand les données ont continué à arriver
après - même instables, c'était l'explosion.
Je n'avais pas osé espérer autant.
Encore une fois, pour un opérateur, le signal, c'est la ligne de survie. Avec
un signal on peut travailler.
Passé l'euphorie, nous avons vite
réalisé qu'un signal instable n'était pas compatible avec Philae immobile sur
la surface. Mais ca reste un signal, un outil pour comprendre et si possible
agir.
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(l'atterrissage de Philae vu depuis la cité des Sciences et de l'Industrie à Paris) |
Vous nous avez
dit lors de votre présentation, que cela avait été difficile émotionnellement
de quitter le programme Rosetta pour devenir Spacecraft Operations Manager de
BepiColombo.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle et quel(s) défi(s)
allez-vous relever ?
J'ai appris mon métier sur Rosetta, mais malgré mon attachement très fort à
cette mission, j'avais du mal à m'imaginer ne faire que ca pour au moins 15
ans, sans aucune autre expérience.
Devenir Spacecraft Operations Manager de
BepiColombo était une superbe opportunité de continuer à élargir mon expérience
en bâtissant sur ce que j'ai appris avec Rosetta.
BepiColombo a des similitudes avec
Rosetta - une longue croisière interplanétaire avec de multiples assistances
gravitationnelles - mais aussi suffisamment de différences pour un vrai
challenge opérationnel à part entière : la propulsion éléctrique, pour la
première fois sur une mission se dirigeant vers l'intérieur du système solaire,
l'utilisation de la bande de fréquence Ka en parallèle avec la bande X pour la
télémétrie, et surtout, la mise en orbite et les opérations de routine autour
de Mercure, des aspects qui sont plus proches opérationnellement de Mars
Express.
Ce qui ne gâchait rien, le lancement
quand j'ai pris de poste, était prévu pour 2013, avant le réveil de Rosetta.
En tant que Spacecraft Operations Manager, j'ai la responsabilité de la
préparation des opérations, de la mise en place et du training de l'équipe de
contrôle de vol, et après le tir, je conduis toutes les opérations non
critiques.
C'est un rôle central,
multidisciplinaire, avec de nombreux aspects d'ingénierie système et beaucoup
de visibilité après le tir. A mon avis, j'ai un des meilleurs jobs possibles.
Je suppose que
vous aimeriez-vous vous aussi aller dans l’espace – pourquoi ? Et vers
quelle destination aimeriez-vous vous envoler ?
Cela peut surprendre, mais je n'ai
jamais rêver d'aller dans l'espace.
Je suis une fan absolue des missions
robotiques, qui me permettent de visiter d'Univers sans quitter notre belle
planète, et donc sans trop de contraintes :)
Une des prochaines belles destinations,
c'est Jupiter. Et ce serait bien de ramener des échantillons d'une comète un
jour.
La place des
femmes n’est pas encore assez importante dans le milieu de l’ingénierie
spatiale (et dans d’autres domaines aussi). Je sais que vous vous impliquez
justement pour ‘’améliorer’’ cela et pousser plus de jeunes étudiantes dans les
métiers scientifiques. Qu’est ce qu’il faudrait faire pour vraiment pousser les
jeunes vers ses métiers et leur donner envie de faire des études ?
Je
pense que les jeunes ont besoin de modèle, de personnes qui leur montrent ce
qui est possible et ce qui reste à faire.
Une mission comme Rosetta fascine, et
plante une graine dans l'imagination des jeunes générations comme
l'atterrissage des humains sur la lune au siècle dernier, qui a été à l'origine
de tant de vocations. La question de la balance entre travail et famille est
aussi pour moi une des questions les plus importantes de notre temps, pour les
hommes autant que pour les femmes.
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(Elsa Montagnon à Paris le 24 mars 2015, lors d'une conférence sur Rosetta / Philae organisée par Women In Aerospace - WIA) |
Retrouvez les articles que Space Quotes – Souvenirs d’espace a consacré à la mission Rosetta (cliquez sur les liens en bleu-clair) :
- Réveil et mise en orbite autour de la comète 67P/Churyumov-Garasimenko
- Choix du site d’atterrissage de Philae
- Atterrissage de Philae
Retrouvez les interviews d’Andrea Accomazzo,le Flight Director et de Stephan Ulamec, le Program Manager pour la DLR de la mission Rosetta/Philae.
Crédit : Stéphane Sebile
Space Quotes - Souvenirs d'espace
ESA / DLR