Armelle Hubault
fait partie de l’équipe de contrôle de la mission Rosetta / Philae au centre de
contrôle de l’ESA à l'ESOC à Darmstadt (Allemagne).
Elle a accepté gentiment de répondre à nos questions sur son travail et sur la mission. Ainsi que du projet Space Girls Space Women avec lequel elle s’est engagée.
Elle a accepté gentiment de répondre à nos questions sur son travail et sur la mission. Ainsi que du projet Space Girls Space Women avec lequel elle s’est engagée.
(Armelle Hubault, au centre, lors de l'inauguration de l'expo Space Girls Space Women) |
Il y a un an
exactement était décidé le site d’atterrissage de Philae sur la comète
Churyumov-Gerasimenko.
Retrouvez les
articles et les interviews consacrés à cette mission (cliquez sur les liens en jaune) :
(Armelle Hubault - tout à droite - lors de l'inauguration de l'expo Space Girls Space Women) |
Rencontre avec Armelle
Hubault
de l’équipe de contrôle de la mission Rosetta / Philae
Quel a
été votre parcours scolaire, universitaire, d’ingénieure et pourquoi avoir
choisi le domaine du spatial ?
J’ai toujours été
passionnée par l’astronomie et le spatial. Je lisais des magazines
d’astronomie, j’adorais la science-fiction… Je me souviens de la première
« Nuit des Étoiles » en Août 1991, ça a été un tournant pour moi.
C’est là que j’ai su que je voulais travailler avec les étoiles.
Pendant mes années
au collège et au lycée, il a été difficile de poursuivre ce but car personne ne
pouvait me dire quelles études suivre. C’était avant Internet et l’information
n’était aussi facile d’accès que maintenant ! Mais j’ai persisté dans une orientation
scientifique et technique, car c’était ce qui m’intéressait.
Après un bac
Scientifique j’ai passé mon diplôme d’ingénieur en Génie des Systèmes
Industriels à L’EIGSI-La Rochelle. J’ai choisi cette école car elle proposait
une formation en 5 ans, directement après le Bac. C’était important pour moi
car je ne souhaitais pas entrer en Classe Prépa, cela ne me correspondait pas.
Le côté pratique et progressif du cursus EIGSI me semblait plus adapté à ma
personnalité.
En 4ème
année , j’ai choisi de passer quelques mois en Allemagne en profitant du
programme européen ERASMUS car il me semblait indispensable d’avoir une
expérience à l’étranger. Quand j’ai appris que L’ESA, et plus particulièrement
l’ESOC était justement situé à Darmstadt où je faisais mon échange, j’ai
profité de l’occasion pour faire une demande de stage en vue de mon projet de
fin d’étude.
A la fin de mon
stage, j’ai pu rejoindre Rosetta en tant que YGT (Young Graduate Trainee) puis
consultante.
Par une voie
détournée, je suis finalement revenue à mon projet original. La boucle est
bouclée.
Quel
est votre rôle au sein de la mission ? Pourquoi avoir accepté ce poste et pas
un autre ? Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette fonction ?
Je suis Spacecraft
Operations Engineer (ingénieur en opérations spatiales). En d’autres mots
pilote de sonde spatiale. Mon rôle consiste à surveiller Rosetta au jour le
jour et à réagir en cas de problème. En parallèle nous intégrons les commandes
des instruments scientifiques, de la navigation de vol et de gestion des
contacts avec les stations-sol afin de vérifier qu’elles sont valides et
n’interfèrent pas entre-elles, avant de les envoyer à Rosetta.
Ce qui me plait
dans ce poste, c’est le contact direct avec la sonde, la dimension
« système » ainsi que l’environnement de travail international.
Comment
arrive-t-on à se motiver, à continuer de s’impliquer pour des programmes
spatiaux aussi long ? Certains de vos collègues travaillent sur Rosetta depuis
25 ans ou presque ? Entre le décollage de Rosetta et l’atterrissage de Philae,
il vous a fallu attendre 10 ans.
L’une des
particularités de Rosetta, c’est qu’il y a toujours quelque chose de nouveau à
préparer. Chaque assistance gravitationnelle - que ce soit avec la Terre ou
avec Mars, chaque survol des deux astéroïdes Stein et Lutetia, l’hibernation
puis le réveil, l’approche de la comète, la caractérisation qui devait être
effectuée en un temps record, l’atterrissage de Philae puis la phase
d’observation avec les difficultés que nous rencontrons actuellement à rester à
proximité de la comète… chaque phase était unique.
Maintenant nous
préparons aussi la fin de mission, c’est-à-dire la descente de Rosetta à la
surface de CG.
C’est vrai que la
mission est très longue. Mais à peine une phase critique est-elle passée que la
suivante nous attend déjà, avec des délais plus ou moins long. Le rythme est
resté soutenu en 10 ans, il y avait toujours tant à faire et à apprendre !
Ce n’est pas très difficile de rester motivé dans ces conditions.
Quelles
ont été vos premières pensées, vos premières émotions, à trois moments clés de
la mission Rosetta / Philae : le réveil en janvier 2014, la mise en orbite en
août et surtout l’atterrissage de Philae ?
Au réveil j’ai
ressenti un immense soulagement. Après tous ces mois de silence, nous ne
savions même pas si Rosetta serait au rendez-vous ! Les dernières minutes
d’attente ont été un calvaire. Pour nous, il n’y a rien de pire que le silence.
Tant qu’on a un signal, un contact, on peut agir.
La mise en orbite a
été relativement impassible, dans le sens où cette manœuvre était très peu
critique par rapport à celles exécutées les mois suivants. Un peu comme un
amarrage à quai en douceur après une entrée au port à travers un chenal hérissé
de récifs.
L’atterrissage évidement,
pour moi ça a été le moment le plus fort de la mission. Je suis le Lander
quasiment depuis mon arrivée sur Rosetta, et chaque phase de la manœuvre était
une épreuve en soi. Le réveil de Philae et sa préparation pour la séparation ne
se sont pas bien passés, et au moment où je rentrais chez moi après mon premier
shift, la situation était telle que nous étions NOGO. Pendant la nuit, l’autre
équipe a réussi à changer la donne et à mon retour nous étions certes dans une
situation incertaine vis-à-vis de Philae, mais GO pour la manœuvre. Ensuite
tout est allé très vite. Joie au moment de la séparation et de l’acquisition du
signal, plaisir de voir Rosetta se comporter aussi bien, exultation lors du
contact avec la comète, angoisse quand le signal est devenu instable et que
nous avons compris que Philae bougeait, et enfin soulagement et allégresse
quand il s’est définitivement posé. Additionné à tout cela, beaucoup de fierté
de travailler avec des collègues extraordinaires qui rendent ce genre de
mission possible.
(Vue de Philae par Rosetta juste après son largage / CIVA-ESA) |
(Vidéo avec séquence de 7 images depuis la caméra Rolis de Philae entre 67 et 9 mètres)
Vous
nous avez dit lors de votre présentation être très attachée à Rosetta – vous
portez un joli pendentif Rosetta d’ailleurs (que ma fille aimerait beaucoup
avoir ;-) ) – Quelle a été votre réaction lors du réveil de Philae après plus
de 6 mois d’hibernation ? et quel est la suite maintenant que la mission a été
prolongée jusqu’en septembre 2016 ?
Beaucoup de joie et
un peu d’incrédulité. Après plusieurs séquences de recherches infructueuses, le
doute commençait à s’installer. Nous avons passé une bonne partie de la nuit à
analyser les données, l’atmosphère ressemblait à ce que nos avions vécu en
Novembre.
Rosetta écoute
Philae en continu. Dès qu’elle est positionnée de telle manière qu’un contact
serait possible, nous essayons de le réveiller. Mais jusqu’à présent, les
communications n’ont pas été satisfaisantes car hachées et irrégulières. Sans
régularité ni prévision dans la durée et l’heure des contacts, il est
impossible de construire un plan d’observation. Nous continuons donc d’essayer de
trouver Philae. Même si à présent l’activité de la comète nous force à rester
très loin du noyau (environ 300 km).
Je
suppose que vous aimeriez vous aussi aller dans l’espace – pourquoi ? Et vers
quelle destination aimeriez-vous vous envoler ?
En fait pas
vraiment… je me trouve bien sur Terre et je suis contente d’y rester. Si
l’exploration humaine a des bénéfices uniques, nous sommes encore très limités
dans ce que nous pouvons réaliser sans prendre de risque inacceptable pour
l’équipage.
Ce que je voudrais
explorer à présent, ce sont nos deux géantes bleues : Uranus et Neptune.
La
place des femmes n’est pas encore assez importante dans le milieu de
l’ingénierie spatiale (et dans d’autres domaines aussi). Je sais que vous vous
impliquez justement pour ‘’améliorer’’ cela et pousser plus de jeunes
étudiantes dans les métiers scientifiques. Qu’est ce qu’il faudrait faire pour
vraiment pousser les jeunes vers ces métiers et leur donner envie de faire des
études ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer au projet Space Girls Space Women ?
Je crois que l’une
des choses les plus importantes à faire, c’est de donner à ces jeunes filles
des exemples de ce qu’elles peuvent faire. Il faut créer des rêves, et prouver
qu’ils sont réalisables. C’est justement ce que fait « Space Girls Space Women ».
Lors de
l’inauguration de l’exposition à Paris, une jeune femme est venue me voir. Ce
qu’elle m’a dit m’a démontré à quel point il était important d’agir. Elle
exerce aujourd’hui son métier d’écrivain avec talent, mais étant petite fille,
ce qu’elle voulait faire c’était travailler dans le spatial. Simplement les
gens autour d’elle lui ont dit d’oublier ce projet, car étant une fille elle
n’avait aucune chance d’y arriver. Elle les a crus et aujourd’hui elle le
regrette.
Grace à cette jeune
femme j’ai réalisé ma chance d’avoir été entourée d’une famille qui n’a jamais
fait de différence entre moi et mes frères. Qui nous a poussé à faire ce que
nous aimions, et qui nous a laissé tenter les projets qui nous attiraient.
L’idée que je ne puisse pas faire quelque chose parce que j’étais une fille ne
m’a jamais effleurée !
C’est ça qu’il faut
obtenir. Il faut que chaque petite fille et chaque petit garçon choisisse sa
carrière en fonction de ce qu’il souhaite devenir. Il faut que quand il ou elle
entend quelqu’un lui dire que certaines professions sont réservées aux hommes
où aux femmes, sa réaction soit aussi incrédule que si on lui disait que
certaines professions sont réservées aux gauchers, à ceux qui aiment les
épinards, qui dorment avec les bras au-dessus de la couette ou qui préfèrent le
jazz à la country…
Nous devons, en
tant qu’adultes et parents, prendre conscience du fait que chacun a le droit
d’avoir son rêve, sa chance, et que ce n’est pas à nous de décider ce que nos
enfants pourront ou ne pourront pas faire. Notre rôle, c’est de nourrir leurs
rêves et de leur montrer que tout est possible et qu’il faut tenter sa chance.
La pire chose que l’on puisse faire c’est de leur interdire d’essayer.
Crédit Photos : Stéphane Sebile / Spacemen1969ESA