jeudi 27 août 2015

Interview d'Armelle Hubault - ROSETTA Operations Engineer


Armelle Hubault fait partie de l’équipe de contrôle de la mission Rosetta / Philae au centre de contrôle de l’ESA à l'ESOC à Darmstadt (Allemagne). 
Elle a accepté gentiment de répondre à nos questions sur son travail et sur la mission. Ainsi que du projet Space Girls Space Women avec lequel elle s’est engagée.
(Armelle Hubault, au centre, lors de l'inauguration de l'expo Space Girls Space Women)
Il y a un an exactement était décidé le site d’atterrissage de Philae sur la comète Churyumov-Gerasimenko.

Retrouvez les articles et les interviews consacrés à cette mission (cliquez sur les liens en jaune) :

(Armelle Hubault - tout à droite - lors de l'inauguration de l'expo Space Girls Space Women)
Le site de Space Girls Space Women

Rencontre avec Armelle Hubault 
de l’équipe de contrôle de la mission Rosetta / Philae

Quel a été votre parcours scolaire, universitaire, d’ingénieure et pourquoi avoir choisi le domaine du spatial ?
J’ai toujours été passionnée par l’astronomie et le spatial. Je lisais des magazines d’astronomie, j’adorais la science-fiction… Je me souviens de la première « Nuit des Étoiles » en Août 1991, ça a été un tournant pour moi. C’est là que j’ai su que je voulais travailler avec les étoiles.

Pendant mes années au collège et au lycée, il a été difficile de poursuivre ce but car personne ne pouvait me dire quelles études suivre. C’était avant Internet et l’information n’était aussi facile d’accès que maintenant ! Mais j’ai persisté dans une orientation scientifique et technique, car c’était ce qui m’intéressait.

Après un bac Scientifique j’ai passé mon diplôme d’ingénieur en Génie des Systèmes Industriels à L’EIGSI-La Rochelle. J’ai choisi cette école car elle proposait une formation en 5 ans, directement après le Bac. C’était important pour moi car je ne souhaitais pas entrer en Classe Prépa, cela ne me correspondait pas. Le côté pratique et progressif du cursus EIGSI me semblait plus adapté à ma personnalité.

En 4ème année , j’ai choisi de passer quelques mois en Allemagne en profitant du programme européen ERASMUS car il me semblait indispensable d’avoir une expérience à l’étranger. Quand j’ai appris que L’ESA, et plus particulièrement l’ESOC était justement situé à Darmstadt où je faisais mon échange, j’ai profité de l’occasion pour faire une demande de stage en vue de mon projet de fin d’étude.

A la fin de mon stage, j’ai pu rejoindre Rosetta en tant que YGT (Young Graduate Trainee) puis consultante.

Par une voie détournée, je suis finalement revenue à mon projet original. La boucle est bouclée.

Quel est votre rôle au sein de la mission ? Pourquoi avoir accepté ce poste et pas un autre ? Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette fonction ?
Je suis Spacecraft Operations Engineer (ingénieur en opérations spatiales). En d’autres mots pilote de sonde spatiale. Mon rôle consiste à surveiller Rosetta au jour le jour et à réagir en cas de problème. En parallèle nous intégrons les commandes des instruments scientifiques, de la navigation de vol et de gestion des contacts avec les stations-sol afin de vérifier qu’elles sont valides et n’interfèrent pas entre-elles, avant de les envoyer à Rosetta.

Ce qui me plait dans ce poste, c’est le contact direct avec la sonde, la dimension « système » ainsi que l’environnement de travail international.

Comment arrive-t-on à se motiver, à continuer de s’impliquer pour des programmes spatiaux aussi long ? Certains de vos collègues travaillent sur Rosetta depuis 25 ans ou presque ? Entre le décollage de Rosetta et l’atterrissage de Philae, il vous a fallu attendre 10 ans.
L’une des particularités de Rosetta, c’est qu’il y a toujours quelque chose de nouveau à préparer. Chaque assistance gravitationnelle - que ce soit avec la Terre ou avec Mars, chaque survol des deux astéroïdes Stein et Lutetia, l’hibernation puis le réveil, l’approche de la comète, la caractérisation qui devait être effectuée en un temps record, l’atterrissage de Philae puis la phase d’observation avec les difficultés que nous rencontrons actuellement à rester à proximité de la comète… chaque phase était unique.

Maintenant nous préparons aussi la fin de mission, c’est-à-dire la descente de Rosetta à la surface de CG.

C’est vrai que la mission est très longue. Mais à peine une phase critique est-elle passée que la suivante nous attend déjà, avec des délais plus ou moins long. Le rythme est resté soutenu en 10 ans, il y avait toujours tant à faire et à apprendre ! Ce n’est pas très difficile de rester motivé dans ces conditions.

Quelles ont été vos premières pensées, vos premières émotions, à trois moments clés de la mission Rosetta / Philae : le réveil en janvier 2014, la mise en orbite en août et surtout l’atterrissage de Philae ?
Au réveil j’ai ressenti un immense soulagement. Après tous ces mois de silence, nous ne savions même pas si Rosetta serait au rendez-vous ! Les dernières minutes d’attente ont été un calvaire. Pour nous, il n’y a rien de pire que le silence. Tant qu’on a un signal, un contact, on peut agir.
(le fameux ''pic'' annonçant le réveil de Rosetta)
La mise en orbite a été relativement impassible, dans le sens où cette manœuvre était très peu critique par rapport à celles exécutées les mois suivants. Un peu comme un amarrage à quai en douceur après une entrée au port à travers un chenal hérissé de récifs.
(L'arrivée de Rosetta sur la comète en août 2014)
L’atterrissage évidement, pour moi ça a été le moment le plus fort de la mission. Je suis le Lander quasiment depuis mon arrivée sur Rosetta, et chaque phase de la manœuvre était une épreuve en soi. Le réveil de Philae et sa préparation pour la séparation ne se sont pas bien passés, et au moment où je rentrais chez moi après mon premier shift, la situation était telle que nous étions NOGO. Pendant la nuit, l’autre équipe a réussi à changer la donne et à mon retour nous étions certes dans une situation incertaine vis-à-vis de Philae, mais GO pour la manœuvre. Ensuite tout est allé très vite. Joie au moment de la séparation et de l’acquisition du signal, plaisir de voir Rosetta se comporter aussi bien, exultation lors du contact avec la comète, angoisse quand le signal est devenu instable et que nous avons compris que Philae bougeait, et enfin soulagement et allégresse quand il s’est définitivement posé. Additionné à tout cela, beaucoup de fierté de travailler avec des collègues extraordinaires qui rendent ce genre de mission possible.
(Vue de Philae par Rosetta juste après son largage / CIVA-ESA)
(Vidéo avec séquence de 7 images depuis la caméra Rolis de Philae entre 67 et 9 mètres) 


Vous nous avez dit lors de votre présentation être très attachée à Rosetta – vous portez un joli pendentif Rosetta d’ailleurs (que ma fille aimerait beaucoup avoir ;-) ) – Quelle a été votre réaction lors du réveil de Philae après plus de 6 mois d’hibernation ? et quel est la suite maintenant que la mission a été prolongée jusqu’en septembre 2016 ?
Beaucoup de joie et un peu d’incrédulité. Après plusieurs séquences de recherches infructueuses, le doute commençait à s’installer. Nous avons passé une bonne partie de la nuit à analyser les données, l’atmosphère ressemblait à ce que nos avions vécu en Novembre.

Rosetta écoute Philae en continu. Dès qu’elle est positionnée de telle manière qu’un contact serait possible, nous essayons de le réveiller. Mais jusqu’à présent, les communications n’ont pas été satisfaisantes car hachées et irrégulières. Sans régularité ni prévision dans la durée et l’heure des contacts, il est impossible de construire un plan d’observation. Nous continuons donc d’essayer de trouver Philae. Même si à présent l’activité de la comète nous force à rester très loin du noyau (environ 300 km).

Je suppose que vous aimeriez vous aussi aller dans l’espace – pourquoi ? Et vers quelle destination aimeriez-vous vous envoler ?
En fait pas vraiment… je me trouve bien sur Terre et je suis contente d’y rester. Si l’exploration humaine a des bénéfices uniques, nous sommes encore très limités dans ce que nous pouvons réaliser sans prendre de risque inacceptable pour l’équipage.

Ce que je voudrais explorer à présent, ce sont nos deux géantes bleues : Uranus et Neptune.

La place des femmes n’est pas encore assez importante dans le milieu de l’ingénierie spatiale (et dans d’autres domaines aussi). Je sais que vous vous impliquez justement pour ‘’améliorer’’ cela et pousser plus de jeunes étudiantes dans les métiers scientifiques. Qu’est ce qu’il faudrait faire pour vraiment pousser les jeunes vers ces métiers et leur donner envie de faire des études ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer au projet Space Girls Space Women ? 
Je crois que l’une des choses les plus importantes à faire, c’est de donner à ces jeunes filles des exemples de ce qu’elles peuvent faire. Il faut créer des rêves, et prouver qu’ils sont réalisables. C’est justement ce que fait « Space Girls Space Women ».

Lors de l’inauguration de l’exposition à Paris, une jeune femme est venue me voir. Ce qu’elle m’a dit m’a démontré à quel point il était important d’agir. Elle exerce aujourd’hui son métier d’écrivain avec talent, mais étant petite fille, ce qu’elle voulait faire c’était travailler dans le spatial. Simplement les gens autour d’elle lui ont dit d’oublier ce projet, car étant une fille elle n’avait aucune chance d’y arriver. Elle les a crus et aujourd’hui elle le regrette.

Grace à cette jeune femme j’ai réalisé ma chance d’avoir été entourée d’une famille qui n’a jamais fait de différence entre moi et mes frères. Qui nous a poussé à faire ce que nous aimions, et qui nous a laissé tenter les projets qui nous attiraient. L’idée que je ne puisse pas faire quelque chose parce que j’étais une fille ne m’a jamais effleurée !

C’est ça qu’il faut obtenir. Il faut que chaque petite fille et chaque petit garçon choisisse sa carrière en fonction de ce qu’il souhaite devenir. Il faut que quand il ou elle entend quelqu’un lui dire que certaines professions sont réservées aux hommes où aux femmes, sa réaction soit aussi incrédule que si on lui disait que certaines professions sont réservées aux gauchers, à ceux qui aiment les épinards, qui dorment avec les bras au-dessus de la couette ou qui préfèrent le jazz à la country…

Nous devons, en tant qu’adultes et parents, prendre conscience du fait que chacun a le droit d’avoir son rêve, sa chance, et que ce n’est pas à nous de décider ce que nos enfants pourront ou ne pourront pas faire. Notre rôle, c’est de nourrir leurs rêves et de leur montrer que tout est possible et qu’il faut tenter sa chance. La pire chose que l’on puisse faire c’est de leur interdire d’essayer.
Crédit Photos : Stéphane Sebile / Spacemen1969
                         ESA