lundi 8 février 2010

Rencontre avec Jean-Loup Chrétien, premier français dans l'espace, pour la sortie de son livre Rêves d'étoiles


Jean-Loup Chrétien est le premier astronaute français dans l'espace.
Sélectionné en 1980 par le Centre National d'Etudes Spatiales, il effectue son premier vol en juin 1982 à bord de Soyouz T-6.
Il effectue une deuxième mission, d'un mois cette fois-ci, à bord de Soyouz TM-7 en nov-déc 1988 et effectue une EVA.
Il effectuera son 3ème vol à bord de la navette américaine Atlantis lors de la mission STS-86 en sept-oct 1997.
Il prend sa retraite en 2001.
Rencontre et interview réalisé lors de la Foire d'Automne de Paris le 17 octobre 2009 lors de la dédicace de son livre, écrit en collaboration avec Catherine Alric, Rêves d'étoiles...

Question : Quel était l’objet de ce livre ? Pourquoi avoir fait ce livre ? Cela fait longtemps que vous aviez envie de le faire ensemble…


Catherine Alric : Absolument, on avait envie de faire ce livre depuis très très longtemps… Depuis une vingtaine d’années. Ce livre était un projet de longue date.

J’ai eu envie de réunir toutes ces questions que les gens lui posaient… Aussi bien des questions d’enfants, que des questions d’adultes, sur comment vit un cosmonaute ? Qu’est ce qui se passe dans sa tête, dans son corps au moment du décollage ? l’entraînement, la vie dans le vaisseau, et le retour sur Terre…
Voilà… Toutes ces questions qu’on lui posait sans arrêt, j’ai voulu les traiter de façon très simple et très humaine, pas du tout scientifique, du moins pas vraiment scientifique, même si Jean-Loup, de temps en temps, explique des choses plus ardues. Mais je voulais surtout avoir son avis sur ce qu’il ressentait dans l’espace.
Ça, ça a fait partie de la première partie du livre…
Ensuite, j’ai fais plutôt l’aspect humain… Qu’est-ce qu’il en a retenu ? Quelles modifications dans son comportement intellectuel ? et est-ce que cela lui apporté des convictions autres après ce, après ces voyages, puisqu’il a fait trois vols…
C’est un livre en 2 parties : la vie du cosmonaute et la vie de l’homme après, dans tous les domaines… Ce qu’il a en a retiré ? quel a été le bénéfice de ses voyages ?
Puis, j’ai trouvé normal qu’il parle de ça, parce que c’est le 1er cosmonaute français, d’Europe de l’Ouest et qu’il n’y avait jamais eu un livre sur lui qui parle de cette façon-là.
Il avait déjà fait 2 livres avant, mais qui étaient beaucoup plus scientifiques, techniques, sur un vol bien spécifique. Mais pas sur une carrière, sur l’ensemble d’une carrière.
Ça çà m’intéressais de parler de çà, de façon simple, accessible à tous, aussi bien pour les enfants que pour les grands, et plonger dans la vie d’un homme qui a été dans l’espace…
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Question : Jean-Loup Chrétien, je pense que vous êtes d’accord avec ce que vient de dire Catherine… elle vient d’employer le mot de cosmonaute, alors, avant toute chose, qu’est-ce que l’on doit dire ? Cosmonaute ou Astronaute ?

Jean-Loup Chrétien : Je vais revenir sur ce qu’a dit Catherine – 2 ou 3 petites choses pour compléter, pour remettre le contexte.

On a mis beaucoup de temps à faire ce livre… Cela fait 27 ans que l’on se connait avec Catherine et cela fait 25 ans que l’on a eu l’idée de faire un livre.
Il y a 25 ans, on était un peu plus souple, on était des gazelles.
On a commencé à parler d’ébaucher un livre autour de la piscine de Catherine en Auvergne, et très vite on a senti que le soleil nous tapait dessus, que l’eau de la piscine était trop tentante, et que le pastis n’était pas loin… et on a fait une ½ page par semaine à peu près… Et le livre n’aboutissait pas…
Puis à l’époque, j’avais une carrière de cosmonaute-astronaute.
Il se trouve que j’ai commencé en URSS en 1980…et c’était une particularité. Cette situation avait déjà été rencontrée par d’autres occidentaux, par d’autres français pendant la 2ème guerre mondiale…
L’escadrille Normandie-Niemen avait défendu les couleurs françaises avec les soviétiques sur des avions de chasse soviétiques, et je me retrouvai dans une situation presque conflictuelle vis-à-vis de beaucoup de gens dans le monde, en tout cas dans le bloc de l’Ouest, en tant que cosmonaute.
Et ensuite, j’ai continué ma carrière également en France en tant que spationaute, puis je suis retourné en Union Soviétique, et j’ai terminé ma carrière comme astronaute américain à la NASA, vu que j’ai la double nationalité.
Donc c’est une particularité qui a beaucoup compté.
C’est les deux extrêmes que j’ai vécu avec beaucoup d’expérience entre ces deux jalons. L’un de départ, de départ de l’Armée Française vers l’Union Soviétique tout en restant, bien sûr, dans l’Armée Française, détaché en URSS et une carrière terminée chez les américains avec le drapeau américain sur la combinaison de vol.
Donc dans ce livre, cette situation, évidemment, transparait en permanence.
Beaucoup de questions et beaucoup de réponses à des réponses de Catherine sont colorées entre ces deux jalons essentiels, de 25 ans de carrière.
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Question : Pourquoi avoir choisi cette photo sur la couverture car vous êtes difficilement identifiable, Jean-Loup ?

Jean-Loup Chrétien : Si, si… c’est bien moi… même si on peut se demander qui est l’huluberlu qui est sur la photo (rires…).
Catherine, elle, on la reconnait au dos du livre…
Catherine Alric : J’ai choisi cette photo parce que je la trouve extraordinaire…
Elle a été prise par son collègue cosmonaute. J’ai regardé plein de films, de photos de cette période, et l’on peut toujours remarqué qu’il a le sourire, l’œil pétillant, comme si tout ce qu’il faisait était facile…
Même si on ne voit pas trop son visage, on peut voir que même là, alors qu’il est hors du vaisseau, un moment très très fort, très dur, très merveilleux en même temps, il pétille… Cette photo, pour moi, représentait bien tout ce qu’il a fait dans l’espace…
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Question : Alors, ce que vous racontez dans ce livre, ce sont aussi les questions que vous avez posées, Catherine. Comment on devient astronaute ? Beaucoup d’enfants rêvent d’être astronaute, beaucoup d’enfants rêvent de partir au-dessus de la Terre, de voler au-dessus de notre jolie planète. Alors, c’est facile ou pas facile ?

Jean-Loup Chrétien : Ça commence par l’école buissonnière… faut commencer très jeune (sourire…).

C’est l’époque où on est très curieux, extrêmement curieux… dans un petit village de Bretagne, sous les avions allemands, et régulièrement sous le feu des avions alliés et avions allemands qui venaient pilonnés régulièrement la région…
Les allemands étaient sur place… J’avais cette curiosité extrême : qu’est-ce que c’est que ces machines ?
Et puis l’école de ce petit village, l’école buissonnière, travailler quand on en a envie, des résultats scolaires qui étaient ce qu’ils étaient, et puis des essais en tant qu’organiste. Organiste c’était ma vocation initiale, une passion sentimentale…
Mais j’avais la passion de ces tas de ferrailles en l’air et de pouvoir y aller un jour.
Donc organiste, cela ne s’est pas fait. Puis c’est l’entrée dans l’Armée de l’Air. Affectation à l’école de l’Air à Salon de Provence et Elève-Officier quand Gagarine a volé et c’est là que j’ai eu le déclic…
Catherine Alric : Dans ce livre, j’ai voulu aussi parler de l’homme qu’il était avant d’être cosmonaute.
Il a eu à Orange un entrainement qui était extraordinaire, dont il ne lui paraissait pas important de parler.
Et pour moi, c’était important d’en parler, parce que c’était des pionniers, qui prenaient des risques invraisemblables, même si eux ne les considéraient pas comme tels…
J’avais aussi envie d’enlever un voile sur toute cette période là qui est très importante. On voit là de jeunes pilotes partir dans leur avion de façon incroyable, en prenant des risques extrêmes, et en s’amusant tout le temps. C’est ça que j’ai voulu aussi montré.
Tout ce qu’a fait Jean-Loup m’a sidéré, tout a été fait avec une joie de le faire, même si parfois il perdait des copains en cours de route...
Jean-Loup Chrétien : L’aviation de chasse dans les années 60 était dangereuse. Les machines n’étaient pas ce qu’elles sont maintenant, et on prenait aussi plus de risques et on perdait beaucoup de copains…
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Question : On va brûler les étapes… Le livre est à lire et chacun se reportera à celui-ci. Comment est-ce qu’on est choisi ? Comment est-ce qu’on passe du statut de pilote de chasse en France à celui de cosmonaute en Union Soviétique ?
Jean-Loup Chrétien : Actuellement, il y a 3, même 4 avec la Chine maintenant, endroits au monde, où on fait des appels à candidature relativement régulièrement.
Les premiers ont été les russes et les USA. Ensuite l’Europe a pris le relais, et puis la Chine maintenant, qui fait quelques appels à candidature… Régulier aux USA et en Russie, moins régulier en Europe. Chaque candidat se propose… En général, il y a beaucoup de candidats.
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Question : Y en a-t-il de présentés par les autorités militaires ou bien se présentent-ils spontanément ?

Jean-Loup Chrétien : Il s’agit d’une volonté personnelle de se présenter. Il n’y a pas de liste où on vous dit que vous serez candidat.
L’Armée de l’Air avait une liste mais basé uniquement sur le volontariat des pilotes.
C’est le volontariat qui prime… De toute façon si on n’est pas volontaire, et qu’on n’est pas motivé, on échouera…
Les agences reçoivent les dossiers de candidatures et les agences commencent à faire le tri et procèdent à des épreuves éliminatoires, qui en général, éliminent environ 50% de la population présentée.
Les épreuves durent de 6 mois à 1 an en général. On n’y est pas tous les jours… La première sert à éliminer, comme je le disais, environ la moitié. Cela prend beaucoup de temps. Pas trop aux candidats mais surtout à ceux qui font passer les épreuves.
Petit à petit, cela s’accélère..
Pour nous, les épreuves se sont étalées de septembre 1979 à juin 1980, soit environ 9 mois. Avec une trentaine d’épreuve pour terminer dans un petit groupe de 5-6… puis j’ai eu la chance de faire partie des 2 derniers sélectionnés. Quelques exemples, quelques images, si possibles les plus amusantes, que je peux vous donner concernant les épreuves.
L’organisation des épreuves est assurée par des spécialistes : les épreuves de psychologie par des psychologues, les épreuves physiques par des spécialistes d’épreuves d’effort, etc… Il y a plein de médecins.
Pour ma première épreuve, épreuve qui existe toujours, qui se déroulait au Centre d’Essai en Vol de Brétigny, chez les médecins militaires spécialistes de vol, et bien c’était le Tabouret Tournant.
Le Tabouret Tournant est une invention russe…c’est un tabouret qui tourne à une certaine vitesse sur lui-même. On est donc assis sur ce tabouret, les yeux bandés, et on doit baisser la tête, relever la tête, baisser la tête, etc … Et très rapidement, on a l’impression de tourner dans tous les sens. C’est une épreuve considérée comme redoutable, et les victimes les plus sensibles, avaient en 20 secondes, déjà rempli un sac… et hop, les épreuves sont terminées pour eux…
J’étais parmi les moins sensibles, en fait, j’avais la chance d’être insensible à ce truc là. Non pas parce que je suis né avec du béton dans les oreilles, mais avant les épreuves, j’avais passé tout l’été en mer du matin au soir, sur un caboteur avec mon frère, et qui faisait çà sur les vagues (montre un fort tangage avec les mains). Et là, forcément, le béton s’est installé petit à petit dans les oreilles et donc, le mal de mer je ne connaissais pas.
Cette épreuve, pour dire à travers cette petite image, vous avez de la chance ou vous n’avez pas de chance. Là je pense que j’étais relativement insensible par le fait d’avoir passé l’été à caboter sur les vagues…
Catherine Alric : Il est breton, il est modeste, et en plus, il a un estomac extraordinaire… il vous dit ça simplement, mais en fait il mangeait du cassoulet dans la cabine du bateau à 6h du matin…
C’est vrai qu’il a une résistance à plein de choses qui est un peu hors norme…
Jean-Loup Chrétien : Pour cette première épreuve, il y avait une ‘’conspiration’’, car la plupart des candidats ce jour-là, était de la région parisienne, ou travaillait au Centre d’Essai en Vol de Bretigny.
Et moi, je venais d’Istres, dans le sud de la France… et j’étais donc venu en avion militaire, en avion à réaction… Chose déjà à ne pas faire.
J’arrive à 11h du matin pour un début d’épreuve à 13h30… et les gars sur place m’ont dit – vas déjeuner, tu viens passer une heure et demie en l’air, faut aller manger – çà c’était le vrai coup fourré, car il ne fallait pas aller déjeuner… Le déjeuner, c’était de la choucroute garnie… donc j’ai mangé une choucroute garnie juste avant d’aller sur mon tabouret… Tout est resté en place, pas de problèmes (rires…)
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Question : Alors, au final, vous êtes choisi… Vous partez pour la Cité des Etoiles pour y suivre votre entraînement de cosmonaute… Catherine, vous avez visité la Cité des Etoiles …

Catherine Alric : Effectivement, j’ai eu la chance de passer plusieurs jours à la Cité des Etoiles, et je dois dire, que j’avais été émerveillée, par le site qui est exceptionnel car en pleine campagne sous la neige quand j’y suis allé, et il y avait une joie de vivre des cosmonautes parce que plein de pays étaient représentés.
Des cosmonautes de tous pays qui s’entrainaient ensemble. Il y avait là une entraide, quelque chose de chaleureux, qui respirait de cet endroit…
Et la 2ème chose qui m’a sidéré, c’était de voir les centres d’entrainement, notamment la piscine où la station MIR était recréée à l’intérieur, au fond de celle-ci, et tous ces hommes en scaphandres qui s’entraînaient justement pour apprendre à vivre en apesanteur… C’est extraordinaire comme endroit…
Et surtout, il y avait un homme… J’en parle toujours avec chaleur… Leonov, qui pendant que les hommes étaient dans l’espace, s’occupaient des femmes de cosmonautes pour éviter le vague à l’âme, lever les craintes, et cet homme m’a beaucoup marqué… Il était chaleureux, c’était un des plus anciens, des plus âgés…
Je vois la Cité comme un petit paradis, mais ce que devait vivre Jean-Loup à l’entraînement au quotidien, était dur mais l’ambiance était fabuleuse…
Mais avec Jean-Loup, on a toujours l’impression que tout est facile et même si c’est dur, cela a l’air facile…
Il a toujours confiance en lui. Jamais je ne l’ai entendu dire un mot de douleur, se plaindre, râler sur quelqu’un ou quelque chose qui ne s’est pas bien passé… On a l’impression qu’il n’a eut que des bons souvenirs, et la facilité pour le faire…
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Question : Jean-Loup, vous qui pensiez avoir fait le plus dur en étant sélectionné, vous qui n’attendiez que de monter dans un vaisseau spatial, vous avez un peu déchanté au début…

Jean-Loup Chrétien : Vous savez, on partait à 2. On savait que cela n’allait pas être tout rose… On avait des échos de ce qui se passait là-bas… Ce qu’on a vu, ce que l’on a entendu, ce qui nous a été dit dans les premiers jours, nous a fait descendre encore un peu plus bas…
J'ai vécu comme un retour en arrière, en pension, comme si je retournai au collège Saint-Charles à Saint-Brieuc. Pensionnaire avec autorisation de sortir le samedi après-midi, et encore…C’était un peu pareil…
Pas de téléphone pour appeler la France, pas de possibilité de vacances pendant deux ans…
On s’attendait à une douche tiède, la douche a quand même été assez froide…
Catherine Alric : En même temps, ils avaient une connivence ensemble entre cosmonautes. Je pense que Jean-Loup, à travers ses interviews que j’ai lues et les questions que je lui ai posées, ça été pour lui, une période de sa vie, peut-être même la période la forte au niveau amitié, dans tous les sens du terme… Il aimait la nourriture, la vodka, le caviar, la culture russe… Je crois que ses meilleurs souvenirs se situaient là-bas malgré l’austérité de l’endroit…
Jean-Loup Chrétien : C’était les premiers jours qui parurent difficiles.
Le lendemain de notre arrivée, on s’est retrouvé dans le bureau des patrons des cosmonautes soviétiques, qui était colonel de l’Armée Rouge… Un ‘’géant’’ en uniforme pétant de santé – il devait faire 4° dans son bureau, les fenêtres ouvertes – et nous expliquant comment cela allait se passer.
Mais après quinze jours trois semaines, les choses ont commencé à changer…
Mais il a fallut trois mois, trois mois pour que cela commence à se dérider et que l’on commence a être accepté dans cette grande famille…
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Question : Combien de temps dure la formation d’un cosmonaute, d’un astronaute ?
Jean-Loup Chrétien : Cela dépend… là, ça a duré 2 ans… Pour certains cosmonautes russes, cela a été plus long et il y a eu quelques formations plus rapides… Mais si l’on veut avoir la qualification professionnelle qui permette de bien connaître les systèmes et de prétendre être en équipage, il faut 2 ans… Un minimum de 2 ans…
Aux Etats-Unis, lorsque j’y suis allé en 1994-1995, j’ai été intégré à la promotion 1995 des astronautes américains et cela a duré un an et demi…
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Question : Comment est-ce que l’on vit un décollage ? A-t-on peur ?

Catherine Alric : Toute la première partie du livre, c’est vraiment cela… J’ai voulu donner dans les questions toutes les informations de ce qu’il a pu ressentir au moment du décollage, de l’arrivée en orbite, de la sortie extravéhiculaire, du retour sur Terre.
C’est cela qui m’a intéressé, c’est de la faire vivre de l’intérieur…
Pas uniquement de savoir où se trouve le vaisseau par rapport à la station…
C’est exactement ce qu’a fait Jean-Loup qui s’est donné, livré plus précisément…
Jean-Loup Chrétien : La formation dure 2 ans et on a largement le temps de se préparer… Le temps de l’imaginer.
La préparation nous fait tout savoir du véhicule, pour que vous sachiez vous en servir, que si cela ne marche pas que vous sachiez le remettre en route, etc…
Donc, il faut avoir confiance, on ne peut pas descendre en cours de route…
Si on a confiance, cela veut dire qu’au bout de 2 ans, on est complètement aguerri et qu’on peut imaginer tous les cas possibles de pannes graves, même si certaines fois, des pannes qu’on n’ avait pas prévu arrivent… On peut y faire face…
Il faut être bien préparé et il faut se dire, savoir, que l’on est conscient du risque…
Pour les américains, on sait qu'on peut perdre une navette pour 100 vols – c’est entre autre pour cela qu’on l’arrête, très dangereuse…
C’est comme si on vous proposait de jouer au Loto toutes vos économies et que vous aviez une chance sur cent de gagner, vous dites non …
Et bien, là c’est pareil… Vous vous dites qu’on a une chance sur cent que le système ne marche pas, cela ne fait pas beaucoup…
Beaucoup d’un côté mais aussi pas beaucoup de l’autre, et c’est pour cela que vous acceptez.
Durant ces 2 ans d’entraînement, on a le temps d’y penser, d’y réfléchir et de se dire… Est-ce que je suis prêt à jouer à ce jeu-là ? ou je ne joue pas ?... La roulette russe, il n’y a que 6 balles dans le barillet, il y a encore moins de chances et pourtant, certains y jouent…
La préparation est longue, elle est là pour vous donner confiance : ça peut arriver mais ça ne vas pas m’arriver… J’ai 1 chance sur 100 que cela m’arrive, mais j’ai aussi 99 chances sur 100 que cela ne vas pas m’arriver…
Ça c’est important… Ce qui fait que les gens ont confiance, ne sont pas inquiets… Si l’on est inquiet, c’est le début de la peur… On ne peut pas être inquiet, on ne peut pas avoir peur, puisque l’on a confiance…
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Question : Catherine dit que vous dormiez….
Catherine Alric : … Il ne va pas vous le dire, mais je trouve cela incroyable… Pour se mettre en confiance, sur son 3ème vol, sur la navette américaine…
Jean-Loup Chrétien : … On fait sur la navette américaine quelque chose que l’on ne fait pas sur Soyouz…
On fait 15 jours avant le départ, ce qu’on appelle une répétition générale.
On est dans la navette sur le pad de Tir. La navette est prête à partir sauf que les réservoirs sont vides… C’est une simulation…
Et au moment d’allumer les moteurs, on créé une panne virtuelle…
Psychologiquement, c’est important, car on est vraiment dans les mêmes conditions que l’on va être au décollage 15 jours après …
Là, c’est vraiment impressionnant, on pense à plein de choses : on pense qu’une navette c’est dangereux… On sait que s’il arrive quelque chose dans les 2-3 premières minutes, on n’a peu de chances dans réchapper…
Même si cela ressemble à un avion… Un avion de chasse est plus sûr qu’une navette ou un Soyouz…
Donc, pendant cette répétition, on y pense un peu plus, parce que l’on a que cela à faire, penser…
Qu’est-ce-que cela va être ? Comment cela va se passer dans 15 jours ? Et si …. ? Et si … ?
J’étais quand même impressionné car je me suis dis que dans 15 jours, c’est pour de bon…
Alors, je me suis dit que le meilleur moyen de vois si dans 15 jours j’ai confiance, c’est d’essayer de m’endormir…
On est deux heures, deux heures et demie dans la navette avant le décollage et, 20 minutes avant la mise à feu, il y a un moment de calme où l’équipage n’a plus grand-chose à faire…
On attend… Au sol, on continue le compte à rebours… On est allongé sur nos sièges. Assis mais les sièges sont à la renverse, le dos appuyé sur le dossier et les genoux en l’air – c’est d’ailleurs une position pas confortable du tout – et je me suis endormi…
Mon genou droit est tombé et a touché mon voisin. Je n’avais pas dû dormir longtemps… 30 secondes, peut-être une minute, mais j’avais fais le pari, non pas un pari, je m’étais posé la question de voir si je pouvais m’endormir…
Les 2 autres astronautes derrières moi parlaient du match de foot qui se jouait entre leurs deux écoles, Princeton et l’Ecole des Marines… Ils n’avaient rien à faire et parlaient du match… Ils en parlaient avec un tel enthousiasme que le Commandant de Bord, qui était Jim Wetherbee, leur a demander d’arrêter un peu et de mettre une sourdine car il n’entendait plus les gens du sol…
Catherine Alric : C’est aussi cela que j’ai voulu montrer à travers le livre…
Les rapports qu’ils avaient entre eux.
Comment ils peuvent vivre ce temps ensemble sans avoir des problèmes psychologiques, d’inimitié, et ça dans ce livre, Jean-Loup l’a bien rendu, bien expliqué en disant qu’effectivement d’abord, l’équipage a répété, travaillé ensemble, et que l’équipage à une telle confiance entre eux que de toute façon, tout se passe bien… Il n’y a pas de problèmes entre eux…
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Question : Vous avez été 3 fois dans l’espace et …
Jean-Loup Chrétien : Je devais y aller une 4ème fois en 2001-2002 mais, hélas, il y a un mexicain qui m’a lancé une caisse sur la tête… (sourire). Il ne l’a pas fait exprès bien sûr, mais j’ai été touché aux vertèbres et j’ai donc arrêté l’entraînement…
Question : Avez-vous eu peur lors de l’EVA qui est un autre moment fort de votre carrière ?
Catherine Alric : Jean-Loup avait fait une conférence dans une école d’enfant, celle de mon fils, et je dois dire que la question primordiale est de savoir ce qu’il ressent, ce qu’il ressent d’être attaché à ce cordon ombilical relié au vaisseau et d’être dans le vide de l’espace…
Cette question est toujours posée et Jean-Loup en parle de façon très poétique… C’est le passage du livre que je préfère…
Jean-Loup Chrétien : D’abord, entre le départ, 2 heures – 2 heures et demi avant le décollage, on sait que c’est la fin de la préparation.
On a passé 2 ans à attendre ce moment-là…
Pendant 2 heures on est assis, on est prêt à partir…
Les contrôleurs au sol mettent à feu les moteurs et 8 minutes après, on est dans l’espace… ça c’est important, parce que cette transition entre ces 2 années et puis l’arrivée sur orbite qui passe par ce moment incontournable, qui consume une quantité d’énergie phénoménale, ce sont des millions de tonnes de carburant pour envoyer tout ça là-haut, échapper à l’attraction terrestre.
Ça on le sent... On le sent bien qu’on est assis sur un énorme pétard et qu’il ne faut pas que le pétard pète trop vite.
Il y en a pour 8 minutes… 8 minutes et on est en orbite. On atteint les 400 km d’altitude quelques heures plus tard… On roule, on vole à 28 000 km/h… On fait le tour de la Terre en 1h30, et on flotte dans l’espace…
Cette transition est extrêmement importante… Essayer d’imaginer… On a attendu 2 ans, et puis tout s’accélère…
2 heures… On est déjà sanglés, puis… PAF… 8 minutes et on est déjà là-haut…
Et là on y est pour plus ou moins longtemps… Mon 2ème vol a duré un mois et là, on est installé en orbite, et on veut en profiter le plus possible, profiter de tout les instants…
Mais il y a une énorme différence par rapport à l’aviation, même s’il semble y avoir des similitudes…
Un exemple, c’est la vitesse relative. On a l’impression de survoler comme en avion, même à 400 km d’altitude, c’est évidemment une illusion, car on fait le tour de la Terre en une heure et demi…
L’ENORME différence est le fait FLOTTER.
Flotter est un privilège, outre que cela apporte des sensations très particulières que l’on éprouve en apesanteur.
Le privilège est de flotter soi-même.
Toute la ferraille, tout ce qu’il y a autour est un cocon qui nous amène de l’eau, de l’air, de l’oxygène, etc… mais si on l’enlève, on continue à flotter…
C’est ce qui se passe en sortie extra-véhiculaire… On est là, seul, comme un oiseau, et on flotte au-dessus de la Terre indéfiniment…
C’était la nuit pendant ma sortie extra-véhiculaire. Je voyais mes pieds dans l’ombre noire sur les torchères des puits de pétrole au bord de la Mer Rouge…
Et…. Je trouvais cette image assez incongrue… Je vois des torchères au bout de mes pieds 400 km plus bas et je vole comme un oiseau, et je vole à 28 000 km/h…
Ça c’est une sensation assez extraordinaire…
Sur Terre, on vous enlève le siège, vous tombez. En avion, on vous enlève l’avion, vous tombez aussi… Et là, le privilège, vous avez cette sensation de voler en permanence… C’est moi qui vole… Ce n’est pas le système qui vole pour moi, c’est moi…
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Question : Catherine, vous n’étiez pas inquiète quand il était en haut ?
Catherine Alric : Non, pas réellement parce que je pensais que c’était une passion qu’il a, que c’est sa passion…
Il l’a vit… et je suis sûr que si demain, on lui propose de partir, il partirai …
Pour tout vous dire, j’étais quand même un peu inquiète bien évidemment, mais on ne peut pas faire ça, sans que tout l’entourage, plus ou moins proche, famille, amis, collègues ne soient inquiets…
Mais c’est la chose la plus importante de sa vie, la chose qu’il aime le plus faire, et surtout, il a la possibilité de le faire… Il faut avoir les capacités morales, physiques, intellectuelles pour y arriver… C’est surtout ça qui est important…
Jean-Loup Chrétien : Maintenant, elle a tellement confiance, que lorsque je l’amène en avion, elle dort (rires…)
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Question : Vous décrivez ce que vous éprouvez quand on est au-dessus de la Terre dans le livre, mais maintenant, cette terre comment la voyez-vous ?

Jean-Loup Chrétien : La Terre évidemment, c’est une énorme boule bleue…
Le ciel est noir, d’un noir d’encre. On ne voit pas d’étoiles comme sur Terre car la luminosité de la Terre empêche cela !
Mais par contre, on peut voir quelque chose d’extraordinaire…
Ce sont les étoiles filantes que l’on voit en dessous de nous. Quand on regarde vers le bas, on en voit plein sous nous…
Les orages tropicaux sont quelque chose de phénoménal vus de l’espace… C’est un grand flipper. Comme un énorme flipper, avec ces énormes nuages qui sont éclairés de l’intérieur et qui ressemblent à des boules de flipper, et …
Catherine Alric :
… Ce qui m’a le plus sidéré, c’est quand tu m’avais dit que quand tu étais dans la station, tu voyais des reflets dans les panneaux solaires et que tu savais qu’il y avait un orage sur Terre.
C’est quand même extraordinaire car on n’arrive même pas à imaginer qu’on puisse avoir et voir cet effet si loin…
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Question : On se sent citoyen d’une Terre ? D’un pays ? On se sent quoi ? Citoyen de l’Univers ? …

Jean-Loup Chrétien :
Je crois que ce n’est pas vol spatial qui modifie quoi que ce soit…
De l’espace, on ne voit pas de frontières ! Les frontières, c’est quelque chose d’artificielle…
Mais cela amène des réflexions…
Comme lors d’un congrès pour les chefs d’entreprise que j’ai fais… Des réflexions sur la transcendance, entre les frontières de l’entreprise qui sont des frontières organiques.
J’ai pensé à un évènement spécial, qui montre bien l’artificialité des frontières quand on est dans l’espace…
Vous savez qu’un avion de ligne peut maintenant voler 15 heures et en 15 heures, on traverse la moitié de la planète.
Cet avion, même s’il vole très haut, est obligé de demander des autorisations de survol pour traverser tous les pays qu’il doit survoler…
L’atmosphère s’arrête à 80 km. Le jour où les avions de ligne voleront à 80 km, et cela arrivera, ils seront toujours tenus d’avoir ces autorisations…
Et si l’on s’élève de quelques millimètres, centimètres, et bien, on devient un engin spatial, et là, il n’y a plus besoin d’autorisation.
Donc, ce qui est important, c’est qu’on a dans l’esprit et dans la sagesse des gouvernants raisonnables, personne n’a osé dire qu’il faut une autorisation spatiale pour survoler son pays.
Je pense qu’il y a des pays qui y ont pensé, mais une certaine sagesse internationale fait que les astronautes, cosmonautes sont des citoyens du monde…
C’est une transition énorme, énorme, qui a demandé à tous les gouvernants de se mettre d’accord, même de façon tacite.
Le ciel est à tous, à tout le monde…
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Question : Catherine, qu’est ce que vous avez appris en écoutant Jean-Loup durant toutes ces heures et en écrivant ce livre avec lui ? Vous sentez-vous encore plus proche ?
Catherine Alric : J’ai appris beaucoup de chose. C’est un métier passionnant, exigeant…
Je suis surtout très heureuse de l’avoir poussé à faire ça. Il n’aime pas se raconter…
Donc, ça été au départ un peu difficile. Je suis contente d’avoir réussi à ce que le livre existe et qui témoigne d’une époque… et ça c’est très important pour moi…
Alors qu’est-ce que j’ai appris ? J’ai appris beaucoup de choses sur le plan humain, sur un plan …. C’est vrai qu’il y a des questions sur la croyance en Dieu, sur ce qu’il pense de la mort, des questions que les gens n’ont pas osé lui poser, qui pour moi avaient beaucoup d’importance, parce que c’est vrai, j’avais envie de savoir ce que cela lui avait apporté sur un plan personnel, religieux et autres, et cela je l’ai appris à travers ce livre…
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Question : Vous avez envie de repartir dans l’espace ?
Jean-Loup Chrétien : On en a toujours envie…
Ce serait dommage de ne plus en avoir envie…

3 commentaires:

  1. Excellente ITW mon cher Spacemen. Heureusement que les astronautes sont là pour faire partager leur passion !
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